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Pourquoi on resterait calmes ?

jeudi 17 mars 2016

Les mauvais jours n’en finissent pas. Loi après loi, texte après texte, réforme après réforme, les rapports d’exploitation et de domination au boulot sont sans cesse durcis par les gouvernants, qui derrière leurs fausses querelles, se refilent les dossiers et les bonnes idées pour en mettre plein la gueule aux galérien-nes.

De fait, les conditions de vies empirent pour un nombre croissant de personnes, salariées comme travaillant au noir, touchant les allocs ou le chômage, avec ou sans-papiers, et c’est la course pour la survie qui s’intensifie, au sein de laquelle tout nous pousse àécraser l’autre, àêtre le champion des crevards pour s’en sortir, gratter quelques miettes et éviter de toucher le fond de la misère, avec au dessus du crâne la menace perpétuelle de la loi qui prétend sanctionner toute insoumission. Et des milliers de gens sont pressés àaccepter le premier taf qui vient quitte àrejoindre la cohorte des uniformes : vigiles et matons, flics et gendarmes, ceux-làmêmes qui vont réprimer les actes de refus et de révolte, et qui ont les mains plus libres encore depuis l’instauration et la prolongation de l’état d’urgence. Plus la misère sociale prend de l’ampleur, plus l’ombre de la prison s’étend. Relier ces questions-làest un enjeu de taille, pas seulement dans les analyses, mais dans la lutte elle-même.

La dernière mesure en date, dite « Loi travail  », portée par la gauche au pouvoir, nous rappelle furieusement un épisode précédent : le CPE et la loi « pour l’égalité des chances  » imaginée par le gouvernement de droite en 2006. Cette année-là, un mouvement de lutte protéiforme s’était développé pendant plus de deux mois, allant crescendo et faisant monter une tension sociale revigorante. Utilisant les bonnes vieilles ficelles de la politique, De Villepin avait préféré lâcher un peu de lest, abandonnant (provisoirement bien sà»r) le contrat première embauche pour faire passer le reste du texte. Et bien sà»r, partis et syndicats de gauche s’étaient empressés de décréter la fin du mouvement et de crier àla « victoire  », au moment même où celui-ci commençait àdevenir le plus intéressant, c’est-à-dire incontrôlable. C’est que bien souvent, la colère qui pousse des milliers d’individus àdescendre dans la rue va bien au delàd’une énième réforme, loi, aménagement des vies moisies que les puissantEs façonnent pour nous

Afin de ne pas revivre éternellement les scénarios de tant de mouvements passés, refusons d’emblée les mécanismes du jeu démocratique consistant àfaire croire qu’il y ait quoi que soit ànégocier avec ceux (institutions, patrons, partis…) qui font de la gestion de nos vies leur métier. Comme s’il pouvait exister un dialogue quelconque entre exploité-es et exploiteurs, entre dominants et dominé-es… Refusons au même titre tous ceux qui se présentent en médiateurs de ce dialogue chimérique, prétendant représenter les travailleurs et négocier pour eux la longueur des chaînes qui nous maintiennent dans l’esclavage salarial. Refusons enfin de leur servir de masse de main-d’œuvre en suivant leur agenda politicien.

La révolte n’est ni un spectacle, ni une comédie. Elle ne vise pas la démonstration, la mise en scène, elle est un affrontement réel entre des visions et des intérêts irréconciliables. Aussi, ce n’est pas un décompte du nombre de manifestant-es marchant comme on suit un cortège funèbre qui fait trembler le pouvoir, pas plus qu’un discours simpliste, « responsable  » et réducteur servi àl’opinion publique pour obtenir son adhésion àtravers les médias. La lutte introduit une rupture dans la normalité : rupture avec les fonctions que nous assigne cette société, fonctions qui ne servent qu’àla (re)production quotidienne de notre condition faite de hiérarchies et d’autorités, d’ordres et de soumission, du foyer familial àl’usine, des bureaux aux prisons, des quartiers aux hôpitaux psychiatriques, des centres commerciaux aux écoles. Le plus violent de tout n’est-il pas justement cette normalité-là ? Si la révolte contre cet existant est en soi une chose violente, il n’y a aucune raison de s’en justifier, de s’en excuser et encore moins de s’en démarquer. Cette rupture est le premier pas àfaire pour que s’ouvre la possibilité d’autres rapports, basés sur la réciprocité, les accords et associations libres entre individus, la solidarité et l’entraide.

Pour cela, nous reconnaissons comme nuisibles les (auto-proclamés) leaders et autres spécialistes en « mobilisation  ». De nombreux outils existent pour toutes les personnes désirant en découdre dans cette guerre sociale : l’autonomie et l’auto-organisation, la solidarité entre révolté-es, l’action directe offensive. Et ce ne sont pas les cibles qui manquent : agences d’intérim et Pôles Emploi, banques, locaux de partis et autres crapules capitalistes, médias prônant la soumission au pouvoir, axes de transports et bien d’autres structures encore…

Nous n’avons que ces comptes-lààrégler : contre l’Etat, le capital et tout ce qui nous empêche d’être libres.

Détruisons l’économie, détruisons tout ce qui nous détruit.

[Edito du n°2 de Du pain sur la planche, feuille d’agitation anarchiste, Marseille, mars/avril 2016.]

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Du pain sur la planche
Une feuille d’agitation pour mettre en lien des idées et des gestes qui nous parlent de désirs d’en finir (et plus vite que ça) avec tous les rapports de domination qui structurent cette société mortifère. Un outil qui veut se donner le temps de susciter des rencontres et d’approfondir des analyses loin du rythme frénétique d’internet où, trop souvent, les opinions tournoient sans s’incarner ni porter àconséquences.
Du papier pour s’affuter. Du papier pour foutre le feu !

Du pain sur la planche n°2