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Dix remarques sur le texte « Résistons àla ligne THT Cotentin Maine  »

mercredi 31 octobre 2012

Persuadés que rien ne saurait nuire plus àun mouvement d’opposition que l’unanimité de façade, nous dirons ici en quoi certains aspects du texte « Résistons àla ligne THT Cotentin Maine  », publié par l’assemblée du Chefresne, nous paraissent insuffisants ou ambigus. Qu’on veuille bien comprendre que notre propos n’est pas de polémiquer gratuitement, mais d’éclairer autant que possible les discussions et les actions de ce week-end.

1. Il y a une certaine naïveté àrelever le « mépris  » et « l’arrogance  » dont font preuve RTE et l’Etat, de même que le « rouleau compresseur  » que ceux-ci représentent pour les contestataires. A quoi s’attendait-on ? A ce que ce projet si stratégique – ce qu’est peu ou prou, pour l’organisation sociale techniquement intégrée que nous connaissons, chaque nouvel aménagement industriel, qui plus est « déclaré d’utilité publique  » – se laisse tranquillement contester et déboulonner ? C’est oublier les quelques soixante-dix années de nucléaire écoulées, imposées avec le « mépris  » et « l’arrogance  » propres àun Etat sà»r de son fait, fà»t-il désormais « de gauche  ».

2. On ne relève rien de fracassant en énonçant qu’EDF fait construire des lignes THT pour vendre toujours plus d’électricité sur un « marché spéculatif international  ». Quitte às’engager sur ce terrain secondaire, autant ajouter qu’EDF utilise ces mêmes lignes pour importer de toute l’Europe des quantités significatives d’électricité, notamment en hiver, pour alimenter d’urgence les chauffages électriques promus par les nucléaristes français.

3. Nous ne contestons pas que la THT Cotentin Maine est avant tout conçue pour distribuer le courant que produira l’EPR de Flamanville ; mais pourquoi faire silence sur les gigantesques projets d’éolien offshore – tous situés au large de la Normandie et de la Bretagne, tous remportés par EDF ou Areva, et tous fatals àce qu’il peut subsister de pêche artisanale –, si ce n’est pour ménager des militants qui n’auraient pas tout àfait renoncé àleurs « illusions renouvelables  » ?

4. « L’industrie nucléaire  » contre laquelle on prétend, non sans grandiloquence, poursuivre la « résistance  » semble se résumer paradoxalement àla THT Cotentin Maine et àl’EPR de Flamanville. Or, on sait que l’industrie nucléaire, ne serait-ce que par ses implications radioactives, ignore les frontières locales et régionales. Mais nulle trace, dans le texte, d’autres désastres en cours ou àvenir (dont le toujours possible EPR de Penly, l’usine d’enrichissement Georges Besse 2, le réacteur Astrid, ou les autres lignes THT prévues en France), ni des ponts qu’il serait possible de jeter vers les oppositions qui s’amorcent.

5. La fin de l’industrie nucléaire, en particulier en France, reste suspendue àl’émergence d’un vaste mouvement cherchant às’affranchir des servitudes de l’énergie et de la société qui la produit. Mais bien que ce texte évoque àjuste titre d’autres terrains de lutte (lignes TGV, aéroport de Notre-Dame-des-Landes, centrales àgaz), et que nous puissions nous retrouver dans des notions telles que « gestion de masse  », « dépossession  » et « aménagement de notre survie  », l’idée de « rentrer en résistance  » – en serait-on sorti ? – contre « la démence productiviste et le règne de l’économie  » ne nous convainc pas : le « productivisme  » n’a rien de dément, il constitue la base même du capitalisme (ou du « règne de l’économie  », si l’on préfère). La remise en cause de la colonisation de la vie personnelle et sociale par l’industrie supposerait, quant àelle, de faire apparaître un conflit autour des besoins : d’un côté, les besoins, techniques et marchands, de la société industrielle existante ; de l’autre côté, les nôtres, notamment sensibles, qu’aucune description préalable ne saurait épuiser.

6. Les rédacteurs du texte, pour désigner la manière dont l’assemblée du Chefresne entend reprendre « ses affaires en main  », parlent d’« organisation collective horizontale  » plutôt que de ce qui aurait été, selon eux, « autrefois  » nommé « démocratie directe  ». Nous pensons au contraire que ce terme n’a que trop peu servi, y compris « autrefois  », et que la démocratie directe dans sa pleine signification reste àréaliser.

7. Nous trouvons très ambiguë la partition qu’opère le texte entre les opposants qui participent àl’assemblée, d’une part, et la population locale, de l’autre. D’une manière qu’il présupposent qu’il importe d’« accompagner la colère  » des habitants et les « prémunir de (sic) toute acte de désespoir  » Sans connaître exactement la situation locale, nous savons d’expérience que non seulement « le sentiment d’impuissance  » et la « résignation  » n’épargnent pas plus les militants que les habitants, mais qu’àl’inverse et fort heureusement, l’insoumission n’est pas l’apanage des militants. Il n’y a que des spécialistes de la contestation pour imaginer que le refus a besoin d’être pris en main.

8. Tout aussi ambigu nous paraît ce « soutien (plus que nécessaire)  » qu’il faudrait apporter àune population confrontée àla destruction, bien réelle en effet, des lieux dans lesquels elle a « toujours vécu et/ou travaillé  ». Mais ces lieux et ce travail dont on s’aventure àdéplorer aujourd’hui la disparition, n’avaient-ils pas été entre-temps assez ravagés par l’industrialisation pour ne pas susciter trop de nostalgie ? Qui peut même assurer que la plupart des habitants se désoleraient de voir ce travail aboli et ces lieux détruits, fà»t-ce par les bulldozers de RTE ?

9. La « résistance  » invoquée par le texte résonne comme une défaite programmée. Que les riverains aient ou non plaisir àl’entendre, il faut tenir pour extrêmement improbable que les travaux de RTE s’arrêtent du seul fait des dommages causés au coup au chantier. Seul pourrait en effet y parvenir un mouvement qui saurait reconnaître, dans la ligne THT Cotentin Maine, une modalité parmi d’autres d’un processus général d’asservissement par l’aménagisme, l’électrification totale de la vie et l’anéantissement du monde sensible. De làl’idée, qu’ont illustrée àleur manière certaines luttes antinucléaires des années 1980 et que le texte lui-même laisse entendre àla fin, que la lutte ne peut appartenir aux seuls « locaux  ».

10. Quant àce qu’il demeure possible de faire dans l’immédiat, nous émettrons deux dernières réserves : si le fait de n’afficher « aucune appartenance politique ou syndicale  » paraît relever de la plus élémentaire clarté, nous ne saurions pour autant consentir àun apolitisme qui jetterait la politique au sens fort avec l’eau du bain politicard (professionnel ou amateur, assumé ou masqué). S’agissant enfin du problème de la « violence  », le refus de principe d’attenter à« l’intégrité physique des personnes travaillant àla construction ou àla protection des lignes  » laisse en suspens une éventualité : celle qui verrait les travailleurs du chantier entreprendre de résister, violemment le cas échéant, àla « résistance  » du Chefresne.

21 juin 2012

Des membres de la Coordination contre la société nucléaire
c/o CNT AIT, 74 bis, Grande-Rue, 91490, Dannemois