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Vive la liberté !

dimanche 3 janvier 2010

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—Je ne comprends vraiment pas pourquoi vous avez tant de choses désobligeantes àdire de la République. Vous n’appréciez pas l’extrême liberté qu’elle offre ?

— Incontestablement, mais...

— moi aussi, monsieur. Je suis tout àfait conscient de ma liberté totale. Je suis né dans une famille modeste, mon père était un routier. Dans d’autres régimes, j’aurais immédiatement été assimilé àun esclave et aurait probablement été la propriété d’un gentilhomme campagnard. Au lieu de cela, monsieur, bien que je vienne d’un milieu pauvre, je suis né citoyen libre. Au lieu d’être acculé àdevenir une bête de somme, j’ai librement choisi ma profession. Encore mieux, mon père a choisi pour moi le patron qui était supposé vivre de mon travail. J’étais tout àfait misérable, monsieur, au sens matériel du terme ; mes salaires étaient ridicules et les dépenses étaient tout àfait hautes. Mais la soirée venue, j’ai regardé dans le miroir et me suis dit, « Voici un homme libre Â » et cela m’a rendu fier. À l’âge de 18 ans, je me suis librement enrôlé dans la force militaire que je préférais et j’ai beaucoup apprécié cette liberté qui m’a permis de mener àbien des missions dans des pays étrangers et gagner cette médaille, l’honneur de ma vie.

Je ne vous parlerais pas des libertés accordées dans ces missions. Les journaux en parlent assez.

Dés lors, j’ai n’ai rien fait d’autre que bénir la République. Maintenant, je suis un salarié et ma paie est assez faible, mais je sais que je suis une personne honnête et que j’ai la dignité d’être un citoyen libre. Dans d’autres temps, sous l’empire, un gang d’aristocrates apparu d’on ne sait où vous aurait dépouillé. Mais aujourd’hui nous avons la liberté de choisir àqui obéir, et si nous ne les aimons pas, nous pouvons les changer tous les cinq ans. Vous n’appréciez pas cet avantage ?

— Beaucoup.

Nous avons la liberté de parler, écrire, boire, fumer, même de nous enivrer, sauf, évidemment, dans les circonstances défendues par la loi, le contrat que les citoyens ont librement accepté.

 Oui, mais ne trouvez-vous pas que certaines libertés sont moins agréables ? Par exemple la liberté de dormir sous des ponts si vous ne pouvez pas payer le loyer…

Il fit un geste d’indignation.

— Peut-être pour les vagabonds, les sans-abri, les chômeurs, les inadaptés.

 Mais, brièvement - j’ai répondu, plutôt en colère - il y a quelques circonstances… par exemple, la maladie, le chômage, qui vous privent de toutes les libertés sauf celle de crier famine.

 Faux, monsieur - dit-il sentencieusement - les gens honnêtes n’ont pas àcraindre de telles éventualités. Làd’où je viens, par exemple, il n’y a aucun chômage et les gens dont vous parlez sont ceux qui font un mauvais usage de la liberté.

— Excusez moi, mais vous qui parlez tant de liberté, que faites-vous ?

— Moi ? Monsieur, je suis un gardien de prison.

Dans Machete N°1.