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Une « bonne loi  »

Par André Prudhommeaux (décembre 1934)

mercredi 27 juin 2018

Depuis bientôt un an, le Parti communiste tient le gouvernement d’Union Nationale par le pan de jaquette et se traîne àses talons. Il pleurniche, il exige, il supplie : "Protégez-moi contre les fascistes, pour l’amour de la démocratie. Je n’ai pas d’armes, moi. Il faut interdire les armes. Il faut désarmer les ligues fascistes par une bonne loi !"

Cette "bonne loi" ; soyez contents Messieurs de l’Humanité, vous l’avez ! Comme toutes les lois, elle est une chaîne de plus aux poignets des hommes dignes de ce nom et un boulet de plus àleurs pieds. Flandin vient de promulguer — avec l’assentiment unanime de la Ligue des Droits de l’Homme et du Front commun — la loi sur la détention privée et le commerce des armes de défense. Désormais, nul ne pourra détenir une arme, sauf les officiers de carrière et de réserve, les policiers officiels et privés, les gardiens de la propriété et les citoyens bien-pensants que l’autorité préfectorale autorisera (en raison de leurs opinions et protections) àposséder les engins de mort nécessaires àla protection de leurs biens meubles et immeubles, coffres-forts, bijoux, châteaux, etc. D’où satisfaction générale de Messieurs les politiciens, presque tous châtelains ou aspirant àle devenir.

Au milieu de la joie générale, nous entendons des gloussements hystériques. Quelqu’un chiale àchaudes larmes. C’est encore l’Humidité (pardon : l’Humanité) qui se plaint de son propre succès de pleurnicher àse fendre le cÅ“ur.

Figurez-vous que Flandin est un meuchant ! Flandin devait interdire le port et la détention des armes "seulement aux fascistes" ! Et encore pas àtous : aux fascistes anti-marxistes seulement. Car il en est d’autres : par exemple les nervis marseillais àla solde du Front commun qui ont lâchement attaqué nos camarades àla sortie de la Bourse du Travail, le 27 octobre dernier.

Ainsi donc, le "devoir" du gouvernement français était de désarmer tous les individus civils et militaires (du général Weygand jusqu’au dernier des sidis) qui n’auraient pas été en mesure de présenter un billet de confession signé par le R. P. Florimond Bonte et contresigné par son Eminence Carcel Machin. Après quoi, il ne restait plus qu’àrevendiquer "l’armement du prolétariat", c’est-à-dire la remise au 120 rue Lafayette des armes ainsi confisquées. Et la révolution était faite. Quel dommage ! Quelle déception !

...Allons, ne pleurez pas, Marcel Cachin, nous ne sommes pas àStrasbourg ! Evidemment, on va pouvoir, grâce àla nouvelle loi, perquisitionner les demeures de prolétaires depuis les fondations jusqu’aux ardoises du toit. Evidemment, les contrevenants seront punis d’amendes qu’ils ne pourront pas payer parce qu’ils ne seront pas riches, et n’auront pas derrière eux les coffres-forts d’un Finaly ou d’un Hennessy. Et ils feront de la contrainte par corps pendant que Messieurs les richards, flicards, soudards, oustricards et calottards seront armés jusqu’aux dents et s’exerceront au tir en rafale avec la permission des autorités. Et puis après ? N’avez-vous pas dit et répété que vous n’aviez pas d’armes ? N’avez-vous pas dit que vous n’en vouliez pas d’autre que "l’action de masse" (autrement dit les démonstrations pacifiques d’électeurs, encadrés par vos services d’ordre). N’avez-vous pas dit que les prolétaires qui osent posséder une arme sont des provocateurs ? Ne vous êtes‑vous pas réjoui de l’arrestation, de la détention arbitraire, du jugement inique qui ont frappé notre camarade Saïl Mohamed, lequel n’avait d’autre tort que d’avoir sur lui un revolver empaqueté, et dans son logement un vieux flingot hors d’usage ?

Réjouissez-vous ! Désormais, tous les "provocateurs" iront en prison !

L’arrestation et la condamnation de Saïl Mohamed constituaient un viol des lois alors en vigueur. Aujourd’hui, la loi Flandin permet d’appliquer légalement les mêmes mesures àtous les prolétaires qui songent àdéfendre leur peau. Par contre, elle exempte en fait de toute perquisition et de toute répression les gens qui ont des biens àdéfendre, ainsi que leurs mercenaires officiels ou officieux : armée, marine, gendarmerie, police, détectives privés, gardiens, gardes-chasse, etc.

Nous sommes donc revenus au temps où les Jacques, les Gueux, les Hilotes, étaient dans l’interdiction de posséder du fer ("qui a du fer, a du pain", a dit plus tard Blanqui). Ce métal noble était réservé àl’équipement de pied en cap des hobereaux, gentilshommes et autres manieurs d’épées, qui se trouvaient ainsi détenteurs de la force et, par suite, du droit d’exploiter àmort la racaille et de bien vivre sans rien faire. Cela n’empêchait pas, d’ailleurs, les révoltes de paysans et de pauvres bougres qui remplissent les chroniques du Moyen-Age, tant en France qu’en Allemagne, Angleterre, Hollande, Hongrie, Russie, etc.

En U. R. S. S., on a cru trouver le moyen de tarir la source de ces révoltes en créant un Etat totalitaire avec une énorme armée de métier (qui n’est "rouge" que du sang des prolétaires de Cronstadt et d’Ukraine) et une vaste organisation politico-policière englobant des millions d’hommes. Là, comme en Allemagne, comme en Italie, Yougoslavie, etc., la loi de la terreur pèse nuit et jour sur toute âme vivante. Le flic et le bureaucrate sont rois. Mais en U. R. S. S., les exploités trimballent, une fois par an, au premier Mai, les fusils sans cartouches de leurs maîtres. La journée finie, ils déposent au vestiaire ces armes pour rire, et reprennent joyeusement leur chaîne.

Pourquoi les politiciens moscoutaires du Palais-Bourbon n’appliqueraient-ils pas ce principe en France même, comme amendement àla loi Flandin ?

Pourquoi les "masses prolétariennes" n’auraient-elles pas, une fois ou plusieurs fois l’an, leur défilé sur la Place de la Nation ou de la Concorde, sabre de bois au poing, fusil de paille au bras, en répétant en chÅ“ur le mot d’ordre favori du plus Vaillant des Couturiers : "Pour un Å“il les deux yeux ; pour une dent, toute la gueule" ?

...Les autocars de la Préfecture ne s’en porteraient pas plus mal, non plus que les affaires des Mécènes du fascisme. Et tout le monde serait content.

Une autre "bonne loi" àfaire pour endormir la vigilance du peuple ? Inutile, Messieurs les députés. Les chefs du Front commun s’en chargeront !

[/ André Prudhommeaux.
In Terre Libre n°8, décembre 1934. /]