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Turquie : Nouvelles de la lutte et des émeutes en cours

jeudi 6 juin 2013

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Le premier juin nous étions àTaksim vers 15h. Après les affrontements qui avaient commencé le matin la police a dà» quitter la zone. Les flics ont disparu pendant des heures. Durant deux heures il n’y avait de présence policière dans aucune zone du centre d’Istanbul. Les gens ont occupé la place Taksim et le parc Gezi. Il y avait beaucoup de gens. Tout le parc, la place et les routes qui y menaient étaient pleines de monde. Toutes les barrières de construction qui fermaient la partie ouest du parc ont été détruites par les manifestants. Des barrières de sécurité ont été enlevées et jetées sur la route qui mène au tunnel souterrain récemment construit. Ces barrières ont aussi été utilisées pour les barricades. Le QG de la police qui est au sud du parc qui domine la place a été brà»lé et le véhicule anti-émeute laissé làpar la police a aussi été détruit. Une voiture de police au même endroit a été retournée et détruite aussi. Ça débordait de joie du côté des manifestants et certains se prenaient en photo devant les voitures et immeubles détruits. Au nord du parc il y a l’hôtel Hyatt Regency et dans le jardin de l’entrée une voiture de police a été jetée dans la piscine. Quatre bus publics abandonnés àun carrefour proche ont aussi été détruits.

Vers 6h nous avons appris par nos compagnon-ne-s que des affrontements avaient commencé àBeÅŸiktaÅŸ, où se trouvent les bureaux et la maison de Tayyip Erdogan. Des gens attaquaient les lieux depuis quatre directions : depuis la place BeÅŸiktaÅŸ (àl’est), la rue Dolmabahçe (àl’ouest), Akaretler (nord-ouest) et la rue Ortabahçe (au nord). La police était coincée là-bas avec quatre chars lance-eau et environ 150 policiers àl’entrée de la rue Hayrettin Ä°skelesi. Dans toutes les directions se dressaient des barricades. Après quelques heures la police a pu pousser les gens et se déployer. De nouvelles barricades étaient aussi dressées dans la rue Mumcu Bakka et la rue Süleyman Seba pour empêcher la police d’entrer dans le Çarşı, qui est le bazar de BeÅŸiktaÅŸ où traînent les gens. La police a utilisé des balles de caoutchouc lorsque les attaques des manifestants s’intensifiaient. Au milieu de la nuit (du 1er au 2 juin) la police se préparait àattaquer de nouveau l’occupation du parc Gezi. Malgré ça les gens dans le parc ont cramé les engins de construction. Les affrontements ont continué jusqu’à1:30 du matin (02/06). La police a définitivement utilisé de manière excessive les bombes lacrymogènes pour disperser la foule, ce qui a obligé les manifestants àquitter les barricades pour se réfugier dans les magasins et bars environnant, ou àse regrouper dans des rues intérieurs de BeÅŸiktaÅŸ. À ce moment lànous avons appris que la police rassemblait ses forces pour attaquer le parc Gezi.

Pendant ce temps àTaksim d’énormes barricades ont été construites sur les routes et les rues tout autour de la place et du parc Gezi durant toute la nuit. Des bus, des voitures, du matériel de construction, des barrières de police, des poubelles etc … étaient utilisés pour monter les barricades.

Le 2 juin, àpeu près 30,000 personnes étaient rassemblées àTaksim vers 14h30. Un tract du parc Gezi : « Iktidar hayatı hedef aldığında, hayat direniÅŸ olur / Lorsque le pouvoir met en danger la vie, la vie devient résistance ».

Sur les places où nous avons été, àIstanbul, de nombreux manifestants hésitaient às’attaquer àdes cibles capitalistes, précaution contre de possibles manipulations médiatiques. En dehors des caméras de surveillance sabotées, nous avons vu qu’un seul DAB abîmé. Nous avons bougé de nombreux véhicules pour les utiliser comme barricades mais nous ne les avons pas abîmé (au moins pas délibérément). En gros les principales cibles dans ces affrontements ce sont les flics. Mais àİzmir par exemple nous savons que des manifestants ont attaqué une banque et un Starbucks, parmi d’autres.

À plusieurs reprises des policiers ont attiré plusieurs personnes vers des rues où elles ne devaient pas aller, et les ont arrêté. Ce jour-là,  àIstanbul, toutes les personnes détenues àTaksim et Beşiktaş semblent toutes avoir été libérées. Près de 80 d’entre elles ont été emmenées au palais de justice et libérées par le procureur, alors que près de 100 d’entre elles ont été libérées sans être passées devant le procureur.

Les affrontements ont commencé àBeşiktaş aux alentours de 18 heures, et des barricades ont été encore une fois construites le long des rues de ce quartier. La force et la brutalité policière était beaucoup plus importantes que la veille. Après quelques heures, la police a utilisé une quantité excessive de gaz lacrymogène et repoussé la foule àl’intérieur des rues. Ils ont jeté des grenades lacrymogènes àl’intérieur des rues et chassé les manifestants qui fuyaient. Ils ont également visé des maisons, des magasins et des cafés. Les résidents et les propriétaires de magasins étaient complètement solidaires des manifestants et ils ont ouvert leurs maisons et leurs portes aux manifestants qui tentaient d’échapper àla police. Les services de santé ont été fournis àplusieurs endroits secrets. Les affrontements ont diminué après 01h, mais ont continué jusqu’à5h du matin. À un certain moment dans la nuit, àproximité du stade Inönü dans le quartier de Beşiktaş, les émeutiers ont repris une pelleteuse et l’ont utilisé pour chasser un véhicule anti-émeute. A 3 heures du matin il y avait une attaque massive de la police ànouveau, et cette fois ils ont arrêté de nombreuses personnes.

Pour ajouter encore quelques slogans entendus dans les rues : « Tayyip’in piçleri, yıldıramaz bizleri / bâtards de Tayyip (flics), vous ne pouvez pas nous effrayer », « bu Daha Baslangic, mücadeleye devam / ce n’est que le début, continuons la lutte » mais aussi « hepimiz Mustafa Kemal’in askerleriyiz / nous sommes tous des soldats de Mustafa Kemal “(malheureusement très souvent scandé par des patriotes/kémalistes et autres).

En fin de soirée du 2 juin, beaucoup ont estimé qu’il devait y avoir jusqu’à1700 arrestations sur les 235 manifestations organisées dans 67 villes dans toute la Turquie. Plus de 900 personnes auraient été arrêtées àAnkara (la plupart d’entre elles arrêtées dans un stade municipal). En effet, les manifestations se sont propagées dans de nombreuses villes. Izmir a également été en feu, et Ankara a vu des affrontements prolongés depuis quelques jours. À Ankara, il semble que la police ait utilisée des balles réelles (vidéo du moment où un jeune homme est touché àla tête par les flics).

Il y a une grave pénurie de sang dans les hôpitaux locaux en raison des centaines de blessés et des interventions chirurgicales ont besoin d’être faites, donc les émeutiers invitent les gens àfaire des dons de sang.

Heureusement, la jeune femme qui a reçu une balle dans la tête par une bombe de gaz le 31 mai n’est pas morte. Au cours de la nuit du 2 juin, nous avons appris qu’elle est capable de bouger sa main, mais elle est toujours inconsciente, son crâne est fendu.

Il est bien entendu très difficile d’être au courant de tous les actes de révolte et des situations de répression àtravers le territoire contrôlé par l’État turc. En outre, nous n’avons pas une idée bien claire sur la présence des merdes nationalistes dans les différents rassemblements. En ce qui concerne les agents de police, ils ont largement utilisé des balles en caoutchouc, toutes sortes de gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes, ont attaqué avec des matraques,  avec des canons àeau et des armes àfeu réelles àplusieurs reprises. De plus, le gouvernement turc a déployé un nombre toujours croissant de forces anti-émeutes et déployé des voyous et des policiers en civil para-étatiques dans les rues. La violence de la police peut largement se constater sur une vidéo du 01 juin, avec encore un autre manifestant frappé par un blindé de la police. Regardez ce gazage directement dans une maison par une fenêtre. Vous pouvez aussi voir Delilim var (« J’ai des preuves ») pour plus d’infos sur la brutalité policière.

Selon ce blog photo-reportage, « le liquide orange / rouge a été confirmé par plusieurs sources comme étant du CS mélangé avec de la peinture orange ou rouge (différent selon les zones de la ville) afin de marquer les manifestants pour une identification ultérieure. Il convient de préciser que ce n’était pas de l’agent orange, une rumeur qui a été répandue. L’agent orange est incolore.

Le liquide qu’ils lancent avec des canons àeau est parfois jaunâtre et parfois de couleur rougeâtre. Le jaune a les mêmes effets que les gaz lacrymogènes et ça donne l’impression que la peau brà»le.

Cependant, les manifestants résistent et ripostent (voir par exemple la vidéo où quelques-uns lors d’une contre-attaque spontanée confisquent des boucliers de la police).

Compte-rendu depuis BeÅŸiktaÅŸ et Taksim du lundi 3 juin

Le matin après deux jours de lourds affrontements la présence policière àBeÅŸiktaÅŸ était énorme. Ils se trouvaient dans le parc AbbasaÄŸa et àDolmabahçe en grand nombre et autour de la place BeÅŸiktaÅŸ en plus petits groupes. L’après-midi j’ai vu des lycéens habillés de noir (pour montrer leur solidarité avec la lutte du parc Gezi) se rassembler àl’entrée de Çarşı. Ils scandaient des slogans. La police s’est tenu àl’écart. Vers 9h du matin des gens dans les maisons des environs se sont mis àleurs fenêtres et ont commencé une casserolada. Ça a duré une demi-heure. [au moment où j’écris ça (04/06, 20h55) ça a recommencé. Les gens dans la rue crient et tapent sur le mobilier urbain, dans les maisons tapent sur leurs casseroles, et  klaxonnent depuis leurs voitures].

Des milliers de personnes se sont ànouveau rassemblées àTaksim au 6ème jour d’occupation du parc Taksim Gezi. Les forces de police étaient sur la route Dolmabahçe Gazhane, àl’est du stade İnönü. Les révoltés dans la rue İnönü (Gümüşsuyu) ont construit de nouvelles barricades tout le long du chemin vers le stade. Il y avait 7 ou 8 barricades tout le long de la route. Des affrontements dans cette rue ont continué durant des heures, commençant le soir et se terminant tard dans la nuit. Bien évidemment la police a utilisé de nouveau des lacrymogènes. Mais cette fois c’était beaucoup plus fort et dense parce que même les gens qui étaient loin ont été affectés par les effets des bombes lacrymogènes.

Il y avait beaucoup de flics en civil autour de nous àTaksim. Certains grimpaient sur les plus hautes barricades et criaient †nos compagnons ont besoin d’aide là-bas, nous devons construire une nouvelle barricade là-bas†ou “un médecin, nous avons besoin d’un médecin là-bas†. Ils ont essayé de faire en sorte que les gens traversent les barricades pour les diriger vers la police. Malheureusement certaines personnes et médecins les ont cru malgré nos avertissements et ont traversé les barricades et ne sont pas revenus. La police n’était pas capable d’approcher la zone que nous occupions. Les barricades construites sont solides et grandes. Mais il ont jeté une quantité excessive de gaz lacrymogène depuis l’endroit où ils sont. Ces lacrymogènes ne pouvaient atteindre le côté de la barricade où nous étions mais un énorme nuage de fumée se dirigeait vers le parc Gezi. Les flics en civil ont essayé de semer la panique au parc Gezi et ont fait que certaines personnes ont fui les lieux. Une bombe lacrymogène est tombée dans la pelouse entre la rue Asker Ocağı et Prof Dr Bedri KarafakioÄŸlu et a mis le feu àun arbre. Deux personnes des barricades ont sauté dans la pelouse pour éteindre le feu. Ensuite àl’aube nous avons vu venir de l’est un nuage de fumée. Quelque chose brà»lait là-bas, mais je ne sais pas ce que c’était. Beaucoup de personnes sont restées jusqu’au matin.

Contrairement aux deux jours précédents il n’y a pas eu d’affrontements àBeşiktaş àpart quelques événements mineurs. Les personnes de Beşiktaş sont allées àTaksim et se sont jointes aux actes de révolte là-bas.

L’occupation continue. En Turquie il y a peu d’expérience de révolte et d’occupation. Mais maintenant grâce àces brutes de flics nous apprenons très vite.

Des rassemblements de solidarité ont eu lieu partout dans le monde, àtravers l’Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, Espagne, France, Grèce, àChypre, de New York àBuenos Aires…

Voici quelques slogans scandés dans la ville de Ioannina (Grèce, le 02/06) lors d’un rassemblement de solidarité : « En Grèce, en Turquie, en Albanie, l’ennemi ce sont les banques et les ministères. / En Suède, en Grèce, en Turquie, les émeutes se transforment en réalité, elles ne sont pas une utopie. / Places de Turquie, montagnes du Mexique, les révoltes vont bientôt éclater partout. / Pour nous, les frontières ne signifient rien ; écrasons le fascisme en Grèce comme en Turquie. / Que ce soit en Grèce ou en Turquie, les escadrons anti-émeutes et la stratocratie sont une seule et même chose. / Ni par la police ni par l’armée, Taksim ne deviendra pas un centre commercial. / La révolte n’éclate pas seulement pour un parc ; les projectiles ne peuvent pas tuer la liberté. / la révolte éclatera sur chaque place, la liberté ne peut pas être tuée par balles ».

Pendant ce temps, en Grèce, Bulut Yayla (24 ans et réfugié politique de Turquie) a été littéralement kidnappé àAthènes par des agents de police et les services secrets, et il est actuellement maintenu en détention au département anti-terroriste d’Istanbul. Obtenez tous les détails en anglais ici (en grec ici).

Repris de Contrainfo.


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