Accueil > Articles > Immigration et frontières > Retour de flammes

Retour de flammes

Sur les révoltes en centres de rétention

mercredi 17 décembre 2008

Ça fait un petit temps que ça chauffe
dans les centres pour étrangers. Si
les actes de révolte y sont quasiment
quotidiens, depuis un an il semble
que ça s’intensifie.

Fin décembre 2007, des détenus du
centre de Mesnil-Amelot (France)
avaient entamé une grève de la faim.
Celle-ci s’étendit assez vite àd’autres
centres (Vincennes, puis Palaiseau
et Nantes). Ces luttes avaient aussi
trouvées de beaux échos de solidarité
àl’extérieur (rassemblements devant
les centres, manifs, sabotages,
casses,…) Depuis, on ne peut pas
vraiment dire que la situation soit
revenue àla « normale ». La tension
reste tangible et, par moment, des
rébellions éclatent encore.

En Belgique, c’est àVottem qu’une
centaine de détenus avaient lancé
une grève de la faim fin février. Les
sans-papiers enfermés au centre
de Steenokerzeel les avaient alors
rejoint quelques jours plus tard. Là
aussi, des gestes de solidarité seront
marqués àl’extérieur. Début mai,
c’est àMerksplas qu’une émeute
éclate suite àla mort d’un détenu
qui avait résisté àson expulsion.

Récemment, plusieurs centres ont
encaissé des incendies. Ce fut le cas
àVincennes le 22 juin, àNantes
mi-juillet, puis àMesnil Amelot le 2
aoà»t et finalement àSteenokerzeel
fin aoà»t. C’est probablement le cas
ailleurs aussi, mais voilàl’info qu’on
a. France, Belgique ; des situations
et des contextes bien différents et
pourtant c’est une même révolte qui
s’exprime.

"Veuillez vous coucher sur le divan"

Pour Steenokkerzeel, on a eu droit
àun sacré coup de psychologisation
de la révolte tant dans la bouche
des politiques que dans celle de
leurs porte-paroles : les médias. Les
associations de soutien sont aussi
allées dans le même sens. Quand il ne
s’agissait pas de désespoir, on nous a
sorti la carte de la promiscuité, celle
de la cohabitation interculturelle
difficile (toutes deux en partie
présentes, mais exacerbées par
l’enfermement) ou encore carrément
une nouvelle classe de détenus : “les
personnes àtroubles comportementaux†.

Évidemment, quand la contestation
échappe au cadre démocratique
imposé par le pouvoir, il lui faut
trouver une explication rassurante
àcette rage qui s’exprime. On fera
donc passer les esprits rebelles pour
des personnes dangereuses et/ou
folles.

Pour les associations de soutien
qui n’arrêtent pas de jouer sur la
bonne intégrabilité de ces “pauvres
migrants†et sur l’interpellation
citoyenne afin que les responsables
politiques assument leurs fonctions,
il est aussi clair que ce genre de gestes
ne rentrent pas dans leur stratégie
d’interlocuteurs respectables. Alors,
pour ne pas perdre la face, il faut
excuser le geste et dans le meilleur
des cas (ce qui reste une horreur),
leur position sera de se dissocier de la
forme tout en pouvant comprendre
le fond qu’on remaniera àsa sauce
en disant que ce sont des gestes de
désespoir. Par ailleurs, cette logique peut même aller jusqu’àreprendre
des catégories imposées par le
pouvoir - mais aussi bien ancrées
dans la tête de bien des citoyens -
celles du bon (celui qui travaille, qui
parle la langue du pays, qui réussit à
l’école, celui qui comprend les lois,
mais qui les trouve inappropriées à
sa situation,…) et du méchant sans papiers
(celui qui pour des raisons
très variables n’est pas intégré ou
intégrable).

Pourtant, il y a des choses assez
évidentes qui n’ont pas besoin de
mille interprétations, certainement
pas quand aucune revendication
n’émane de la révolte. Là, où on
essaye de nous faire passer les
émeutiers pour des fous, nous
y voyons des gestes de salubrité
mentale. En effet, se révolter contre
son enfermement est un geste on ne
peut plus sain pour toute personne
qui ne peut accepter de voir sa vie
lui échapper, toute personne qui ne
peut se résigner face àla situation qui
lui est imposée et qui désire exister.
Cette psychologisation de la révolte
est surtout un sacré tour de passepasse
dans le sens où elle nous
écarte du réel problème : l’existence
des centres et du monde qui en a
besoin. Parce que c’est bien ça le
point de départ des révoltes et pas
la supposée folie de “dangereux
criminels†.

Les matons, jamais en reste, vont
d’ailleurs en rajouter une couche.
Les pauvres seraient en “insécurité†.
Ils recevraient des menaces. Ils se
feraient maltraiter,… Pfff, qu’est-ce
qu’ils croient ? Alors qu’ils enferment
chaque jour les détenus dans leurs
cellules, alors que les détenus sont
obligés de voir leurs sales gueules
autoritaires, alors qu’ils empêchent
des évasions, alors qu’ils décident de
jouer de leur pouvoir pour accorder
telle ou telle faveur, alors que tous les
jours, les prisonniers se retrouvent
infantilisés face àun règlement
que les gardiens appliquent au
doigt et àl’oeil,… Qu’est-ce qu’ils
voudraient, une médaille peut-être ?
Non, évidemment ils se prennent
des insultes et parfois des coups. Et
ces salauds se mettent en grève pour
obtenir une révision du système des
punitions, alors que la seule chose qui
leur resterait àfaire pour ne pas être
confronté àcette insécurité serait
de refuser de faire le sale boulot du
pouvoir et de quitter leur job.

Mais, évidemment, le pouvoir qui
s’enfonce de plus en plus dans la
logique de l’enfermement et du
raffermissement des frontières
a besoin de ces chiens de garde. Il
satisferai donc les demandes de
ses employés assez vite. Suite àces
grèves, la ministre et l’ensemble
du gouvernement [1] ont d’abord
parlé de la construction d’un
nouveau centre, ce sera finalement
l’option de deux nouvelles ailes de
Haute Sécurité dans des centres
préexistants (Bruges et Vottem)
qui sera choisie. Voilà, l’incident est
clos. Les matons peuvent retourner
àleur statut de geôliers. Le nouvel
outil devrait permettre de contenir
les révoltes et de détourner les yeux
pour encore quelques années.

"C’est pas moi, m’sieur le juge"

Autre pays, autre méthode. En
France, c’est une autre logique qui
permet de détourner les yeux. Le
pouvoir qui a évidemment trop à
perdre face àces mouvements de
révolte a choisi une autre option. Il a
porté plainte contre des associations
d’« extrême gauche » (RESF pour
Vincennes et SOS sans papiers
pour Mesnil-Amelot), les accusant
d’« incitation àla violence » et de
destruction des biens publics. Cela
repose entre autre sur une banderole
“destruction des centres†.

Dans la bouche-de-vieille du pouvoir,
les détenus sans-papiers ne seraient
alors que des entités manipulées
depuis l’extérieur. D’ailleurs, si les
braves militants éclairés n’étaient
pas venus leur dire, ils ne se
seraient même pas rendu compte
qu’ils étaient enfermés et que cette
situation leur était insupportable. Là
encore, on retrouve cette logique
d’organisation verticale propre au
pouvoir. Une incapacité àvoir que
la disconvenance est ressentie par
beaucoup de gens et qu’elle est de
moins en moins acceptée. Cette
manière hiérarchisée de voir la lutte
(les militants qui organiseraient la
masse aveugle) ne peut ou ne veut
admettre que la révolte n’appartient
pas au militant, mais est diffuse dans
le corps social.

Mais bon, nous ne voulons pas non
plus jouer le jeu de l’innocence. C’est
clair que pour nous àl’extérieur,
il y a ce réel désir de voir tous les
centres détruits. C’est sà»r que les
rassemblements devant les centres
sont des encouragments àla révolte.
C’est évident que les banderoles
ne sont pas que de la rhétorique et
qu’elles espèrent trouver des échos
dans la pratique… Nous voulons
juste être clairs sur l’autonomie
qu’ont les détenus àse révolter ou
pas. S’ils acceptaient leur détention,
ils enverraient chier les manifestants,
leur diraient de se casser. Or là,
ils se mutinent. S’en suit alors un
jeu d’aller-retour sur la base de cette
volonté d’insoumission.

Fermeture ou destruction ?

Ici aussi les gentils citoyens auront
vite fait de reprendre le discours
du pouvoir, sans quoi ils perdraient
leur respectabilité. A l’annonce de la
plainte déposée àleur encontre, les responsables de SOS sans-papiers ont rapidement déclaré àla presse que la banderole “destruction des centres†n’avaient pas été amenée par leurs membres, mais par des anarchistes. Ils précisent aussi qu’ils ne veulent pas la
destruction des centres, mais leur fermeture (« immédiate » quand ils sont en verve).

Or, de la fermeture àla destruction, il y a une différence : le geste. En effet, dans la destruction, on ne demande
plus rien, on agit. On arrête d’être un interlocuteur et on devient un acteur de sa libération.

Réclamer la fermeture des centres, c’est encore laisser la décision finale entre les mains du pouvoir. La destruction
a cela d’intéressant qu’elle nie toute médiation. Il faut vraiment avoir une foi naïve envers la bonté de l’Etat ou
encore être de gentils humanistes pour croire que les politiciens vont se réveiller un jour et se dire que la politique
qu’ils mettent en place depuis des années et qui tend às’harmoniser au niveau européen est dégueulasse et qu’ils
devraient fermer (immédiatement)
les centres. Il est assez clair qu’une
fermeture des centres appliquée par
le politique ne pourra se faire sans
l’instauration d’autres moyens de
contrôle tout aussi enfermant que les
centres. Il suffit de voir les “peines
alternatives†censées dégorger les
prisons pour comprendre que même
sans barbelés, sans miradors ni
barreaux la question de la prison n’est
pas réglée.

Destruction, donc. N’oublions juste
pas que les citadelles ne tomberont
pas sans les institutions qui vont
avec.

Texte Extrait de Tout Doit Partir N°3


[1que les éventuels membres du parlement qui se seraient montrés en désaccord avec le projet n’essayent pas de se déresponsabiliser. S’ils
éprouvaient un dégoà»t profond pour cette politique, ils quitteraient le navire eux aussi et trouveraient bien d’autres choses àfaire.