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Montreuil : Le masque de la mort lente

mercredi 13 février 2013

Texte diffusé le 2 février 2013, lors du Village énergie, installé dans les locaux de la mairie écologiste de Montreuil, auquel participaient le réseau Sortir du nucléaire et Yosomono, association de résidents japonais en Europe, d’obédience écologiste.

Depuis Fukushima, des irradiés, àcommencer par des liquidateurs,
crèvent déjàpar centaines de façon plus ou moins rapide, dans les
centres d’accueil de la préfecture et dans les hôpitaux où ils sont dispersés
àtravers le Japon. Ce qui annonce la multiplication, dans quelque avenir
plus ou moins proche, d’autres décès, maladies et malformations au pays
d’Hiroshima. Pourtant, aux dires des autorités, la page de la catastrophe
serait tournée et elles en géreraient la sortie en douceur. Or, l’incontrôlé,
parce qu’incontrôlable, combustible tombé dans les sous-sols de la centrale reste en partie actif. Les mesures prises ne peuvent pas le neutraliser.
Elles portent même la mort et la désolation, en dispersant les sources de
radioactivité, dans le sol, dans la mer et même dans l’air, pour les plus volatiles, des sources qui seront actives pour des dizaines, pour des centaines, parfois pour des milliers d’années.

Pourtant, les propriétaires des centrales, en collaboration avec l’Etat
local, avec l’aide des autres Etats nucléaires et des institutions nucléaires
supra-étatiques comme l’AIEA, affirment : toutes les centrales électronucléaires peuvent redémarrer, àla suite de celle d’Oi. Notons que, au Japon, les installations ne sont pas limitées aux centrales. Vu le rôle que joue la recherche comme source de puissance des Etats, les centres de recherche, y compris les réacteurs de recherche, tels que celui d’Ibaraki, dédié àla fusion nucléaire, n’ont pas stoppé leurs activités la moindre seconde. Car ils sont indispensables pour mettre en Å“uvre les programmes nucléaires civils et militaires plus intégrés d’ampleur mondiale, développés depuis la fin de la Guerre froide et des Blocs issus de la dernière boucherie universelle. Les enjeux de la poursuite du nucléaire au Japon ne sont donc pas spécifiquement japonais. Ils ne découlent pas que du regain du nationalisme, porté par des ultras, nostalgiques de l’Empire militarisé, revenus au pouvoir récemment et préconisant de modifier la Constitution pour disposer de la Bombe.

C’est pourquoi les gestionnaires de Fukushima réaffirment ce que
Rosen, chargé de la sécurité sanitaire àl’AIEA, affirmait au lendemain de
Tchernobyl : « Même s’il y avait un accident de ce type tous les ans, je considérerais le nucléaire comme l’une des sources intéressantes d’énergie. Â » L’énergie, en particulier l’énergie nucléaire, c’est l’or de la domination. Pas question d’arrêter la course àl’abîme. D’où la construction de l’EPR et d’autres monstres nucléaires et thermonucléaires àtravers le monde, comme ITER dont le gigantisme exclut la mise en Å“uvre dans le cadre de l’Etat nation. Supervisés par des institutions supranationales, ils sont financés par des sociétés et des Etats qui mobilisent des chercheurs de toutes les nationalités.

Pas question non plus de renoncer àla force nucléaire, moyen de destruction sans égal dans l’histoire. Elle est trop utile aux Etats qui la monopolisent. Par l’effroi de la solution finale par l’atome qu’elle inspire, elle facilite la subordination de leurs administrés respectifs, ces Etats jouant alors le rôle de protecteur face au danger qu’ils contribuent àcréer. Ils ont commencé àmettre àla ferraille les bombes dépassées de l’époque de la Guerre froide, mais ils n’ont pas hésité àarroser des régions entières àl’uranium appauvri, dès la première guerre du Golfe. Et ils tentent de créer des armes plus adaptées aux conditions des prétendues « guerres préventives Â » actuelles, y compris au Japon dans le centre expérimental Firex de l’université d’Osaka.

Désormais, en période de crise nucléaire, la « transparence Â » est àl’ordre du jour. C’est pourquoi l’AIEA préconise, malgré les réticences du pouvoir japonais qui gère en partie la crise de façon traditionnelle, par le mépris des populations irradiées et la fin de non-recevoir de leurs demandes, de prendre leur pouls et de faire mine de les associer au diagnostic. Ce qu’elles demandent parfois dans la région de Fukushima, malgré leurs réticences traditionnelles àdéballer les affaires de famille japonaises aux étrangers. Mais, même au Japon, les médias commencent àprésenter le catalogue des horreurs nucléaires, àorganiser des tables rondes, etc., et le mensonge par omission passe d’autant mieux qu’on y associe quelques vérités. La même AIEA, en collaboration avec l’OMS, prétend assurer la sécurité sanitaire. Les gestionnaires des crises nucléaires, ceux de nationalité hexagonale en tête, sont donc mobilisés pour tenter de mettre en Å“uvre au Japon les dispositifs de contrôle des populations qui ont déjàcours au Belarus, pour leur apprendre àsurvivre en territoire contaminé. Et l’OMS ne reconnaît toujours pas l’origine nucléaire des maladies les plus différées et les plus diffuses qui en découlent. Pour les plus irradiés par Fukushima, elle va créer de prétendus centres de soins où, àl’image de l’ABCC installée après la capitulation dans la préfecture d’Hiroshima, ils seront parqués comme les victimes de la Bombe. Magnifique laboratoire pour la médecine de catastrophe.

Face au désastre, les partis et les lobbies écologistes ressortent leurs réformes introuvables, tel, en France, le réseau Sortir du nucléaire qui préconise « la fermeture immédiate des seize réacteurs français les plus âgés Â » et la « planification de la sortie du nucléaire Â » pour les autres, associées àla mise en place « ambitieuse de l’éolien Â », l’ensemble prenant comme modèle la cogestion àl’allemande, dans laquelle les associations écologistes épaulent, comme conseillers, la Chancellerie. De tels cadavres politiques participent àla poursuite du nucléaire car ils jouent le rôle de liquidateurs préventifs de tentatives d’opposition effectives. Leurs propos fumeux restent sur le terrain qu’ils contestent àgenoux : au problème social posé par le nucléaire, ils opposent des solutions économico-techniciennes, contribuant àperpétuer la domination qu’ils disent rejeter.

En France, de tels supporters des indignés japonais de la prétendue « révolution des hortensias Â », cartel de partis et de lobbys qui surfe sur les résistances locales ambiguë s que suscite la catastrophe, demandent de ne pas faire redémarrer les centrales au Japon et, de façon plus générale, d’en finir avec le nucléaire. En oubliant au passage que, depuis la guerre du Golfe àlaquelle il a participé, le Japon participe àdes recherches nucléaires militaires, en collaboration avec les principaux Etats nucléaires de la planète. Mais c’est souvent au nom de la survie de l’humanité et pour conjurer la venue de catastrophes que de telles exigences sont formulées. Ce qui revient àprésenter le nucléaire comme séparable du monde de la domination. Et àreconduire, pour le nucléaire civil, le mythe de la suppression du nucléaire militaire datant de la Guerre froide, présenté alors comme l’exigence absolue pour éviter l’apocalypse nucléaire par la Bombe.

Or, le combat contre le nucléaire n’a de sens que comme partie intégrante de combats plus généraux visant àsubvertir le monde du capital et de l’Etat. A moins d’accepter d’être exposé pour longtemps àdes radiations, àdes accidents, àdes catastrophes au cours desquelles apparaît de façon paroxystique la fonction première de l’Etat : assurer la sécurité et la survie de la société par la négation de la liberté et de la vie des individus. La mise en situation d’urgence des populations indignées, atterrées, acculées, confinées, condamnées àcrever et la neutralisation des rétifs, y compris par la fusillade, prévues par les plans d’urgence nucléaire, en France et ailleurs, en sont la preuve.

Aujourd’hui, la masse de nos contemporains préfère souvent ne pas y penser. Car le nucléaire est intégré àleur vie de tous les jours comme dispensateur d’énergie, particulièrement en France, chose sans laquelle ils ne peuvent, en règle générale, imaginer vivre. La création d’oppositions de masse radicales au monde nucléarisé ne dépend pas que de poignées d’irréductibles. Pourtant, il est impossible de rester les bras croisés et ne pas engager le fer contre ce qui existe déjàet ce qui est en train d’advenir, avec la complicité des partis et des lobbies écologistes, y compris au Japon. A moins d’oublier en quoi consiste la liberté humaine et d’en rester àdes réactions d’indignation morale, contre le nucléaire et le reste, trop courantes aujourd’hui.

Stalkers

Repris de Basse Intensité.