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Mexique : Mario López "Tripa" part en cavale, deux lettres publiques

jeudi 3 avril 2014

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Vous attendez la Révolution ! Soit ! La mienne est commencée depuis longtemps ! Quand vous serez prêts – Dieu quelle longue attente ! – je n’éprouverai pas de dégoà»t àparcourir un bout de chemin avec vous !
Mais quand vous vous arrêterez je continuerai ma marche folle et triomphale vers la grande et sublime conquête du Néant !
Chaque Société que vous construirez aura ses marges et aux marges de chaque Société rôderont les vagabonds héroïques et bohèmes, des pensées vierges et sauvages qui ne savent vivre qu’en préparant toujours de nouvelles et formidables explosions rebelles !
Et je serai parmi eux !

Renzo Novatore, Mon Individualisme iconoclaste (1920).

Compagnon(ne)s, cela fait beaucoup de temps que je n’avais rien communiqué publiquement, mis àpart quelques notes écrites àdes compagnon(ne)s concernant le déroulement du procès contre moi pour le délit d’attaques àla paix publique ; cette fois, je ne communique pas pour vous raconter quoi que ce soit sur ce procès ou sur du baratin juridique, qui en ce moment même ne m’intéressent pas, et m’ont peu importé dans la réalité. J’écris cette fois pour me défendre – une nouvelle fois – et me positionner par rapport àce qui se passe au Mexique, par rapport àl’actuel coup répressif qu’articule et commence àdonner l’État mexicain, bien appris, c’est certain, de ses acolytes flicards de merde italiens et chiliens ; car dans le fond ce n’est rien d’autre qu’une reproduction pittoresque de montages du type Marini ou Caso Bombas, mais made in mekxicou ; un montage qui ne peut être vu que comme une réponse immédiate de l’État devant la pression qu’ont exercée ces dernières années des groupes et individualités anarchistes [1] et libertaires –de jour et de nuit, publiquement ou pas–, devant la dangerosité de ces idées pour la paix sociale, et il ne devrait pas être interprété dans un sens médiateur qui fasse de nous les victimes d’un système contre lequel nous avons décidé de lutter, par tout moyen que ce soit et sous n’importe quel modèle organisationnel. Un montage qui a des leaders visibles, une structure organisationnelle hiérarchique et une structure de type délinquance organisée àvisée terroriste dans laquelle figure même une équipe juridique qui s’occupe de nous faire sortir quand on nous met en prison ; une structure qui se rapproche davantage de n’importe quel groupe lié au narcotrafic, guérillero, ou àune organisation marxiste de n’importe quelle idéologie (Léniniste, Maoïste, fashion, Stalinienne, etc.) qu’àl’idée que beaucoup d’anarchistes se font de l’organisation (organisation pour tout type d’affaire, publique ou pas, et plus encore lorsque l’on parle d’organisation informelle). Un montage dans lequel figurent comme principaux promoteurs de l’action anarchistes des compagnon(ne)s d’autres pays venu(e)s au Mexique pour différentes raisons et qui selon les bâtards du bureau du Procureur général de la République seraient la source de financements de la lutte ; un montage dans lequel ils ne souhaitent pas simplement frapper un courant anarchiste en particulier mais divers courants de l’anarchisme local ; et enfin un montage policier dans la construction duquel les médias de communication de l’État/Capital jouent un rôle important. Mais bon, ce que l’État/Capital peut faire ou penser n’est plus mon affaire, principalement parce que je ne pense pas comme le pouvoir, et c’est parce que, précisément, je ne suis pas une personne de pouvoir et d’autorité que mon esprit ne peut penser d’une manière autoritaire, et que je préfère ne pas perdre de temps àme préoccuper de comment et de ce àquoi pense l’ennemi, ou àcorriger l’image qu’il a de nous dans le but d’obtenir de plus faibles condamnations ou moins de chefs d’accusations. Tout ce qui figure dans cette lettre est adressé aux compagnon(ne)s de luttes, compagnon(ne)s libertaires et proches de l’anarchisme.

Bon, comme on le sait, j’ai été arrêté de nouveau le lundi 20 janvier, juste au moment où je sortais de chez le juge de paix, sur l’avenue James Sullivan de Mexico, où je devais me présenter chaque lundi pour signer, comme requis dans le cadre de la libération sous caution. Au moment où je sortais, un homme m’a ordonné de m’arrêter. Comme il n’était pas sà»r de lui, il m’a demandé si j’étais bien telle personne, et m’a dit qu’il devait m’emmener, pour un ordre de présentation qu’il avait contre moi… je raconterai plus tard l’histoire complète, avec plus de calme, car elle me parait intéressante, surtout sur le plan de la manière d’agir de ces bâtards du bureau du Procureur général.

Au final, alors que je me trouvais àl’agence Camarones du bureau du Procureur général, et après plusieurs heures durant lesquelles ils m’ont ennuyé, posé et reposé des questions, fanfaronnant et voulant être d’aimables interrogateurs, le chef de la Police du Ministère Fédéral, un certain commandant Silva, m’a informé du fait qu’ils avaient contre moi un ordre de présentation devant le Ministère Public Fédéral comme supposé témoin, et un ordre d’arrestation pour le délit de fabrication d’explosifs sans autorisation, dérivé du viol de la loi sur les armes àfeu et explosifs àl’usage exclusif de l’armée (ordre expédié par une juge du sixième tribunal de district en novembre 2013) ; et qu’ils m’emmèneraient par ailleurs au Reclusorio Oriente pour exécution de l’ordre. Quand mon avocat (particulier) est arrivé, ils m’ont présenté la bonne sÅ“ur –je devrais la qualifier de sorcière, mais les sorcières ont tout mon respect– de la Police du Ministère Public ; elle m’a informé qu’elle m’avait fait emmener car je suis nommé dans l’enquête fédérale pour terrorisme et délinquance organisée dans l’affaire des compagnon(ne)s du Canada et de Carlos Chivo ; elle nous a montré le dossier et la partie dans laquelle je suis mêlé directement àl’affaire, et dans laquelle on essaye de me lier au compagnon anarchiste d’affinité insurrectionnaliste Carlos « Â el Chivo  », et c’est àcet endroit et àce moment-làque nous avons pu nous rendre compte de la manière dont ils structurent leur montage ; et àla fin de la séance, elle a pris un lecteur mp3 qui faisait partie de mes objets personnels, deux clés USB ainsi qu’un câble pour charger le lecteur mp3, la brochure de la Tension anarchiste de AM Bonanno, la brochure du Projet anarchiste àl’époque post-industrielle du compagnon Costantino C. (dommage car elle était bien jolie), et la brochure de La prison et son monde de Massimo Passamani (je les mentionne car les fonctionnaires et la responsable du Ministère Public ont fait comme s’ils avaient beaucoup d’émotion au vu de ce que j’avais dans mon sac), avec quelques autres papiers de moindre importance. Ils m’ont embêté encore un peu et, plus tard, m’ont transféré au Reclusorio Oriente [2] et présenté au juge qui me demandait. Le jour suivant sont arrivées les avocates du GASPA [3], et elles ont argumenté sur l’invalidité des accusations, puisque fondées sur des preuves qui n’ont pas encore été certifiées, du fait qu’elles ont été reprises de mon autre procès pour attaque àla paix publique, dont je n’ai pas encore obtenu condamnation, et que pour cette raison les preuves n’ont pas encore de validité ; la juge avait donc deux options : me libérer après 6 jours sur demande de l’avocate au moment de l’extension du terme constitutionnel, ou établir une caution très peu élevée (en comparaison avec la précédente et avec celles qu’ont eu d’autres compagnon[ne]s). Et àla question de l’avocate sur ce que je souhaitais faire, j’ai choisi librement de payer la caution, non parce que je veux donner plus de fric àl’État (et je suis d’accord avec la critique qui nous a été faite au moment de l’affaire de l’ambassade chilienne) ou par peur, mais parce que, librement et sans que personne me le conseille, j’avais pris la décision qu’une fois un pied dehors je serais en cavale. Tout était parfaitement clair, le harcèlement et la répression contre moi menés par l’État par le biais du bureau du Procureur général de la République.

Maintenant, je décide de mon propre chef de revendiquer ma rupture juridique (ou antijuridiciarisme anarchiste, comme on la connait plus communément), qui est mon refus de continuer dans leur cirque juridique (et de cette façon, même si elle est minime, de collaborer) contre moi et mes compagnon(ne)s car, àpartir de mon individualité, c’est l’option que je trouve la plus en adéquation avec mon discours, mes idées, et ma manière de concevoir la vie, qui est l’anarchie. Il n’y a rien d’autre ; nous savons maintenant qu’ils ont braqué sur moi les ordres de recherche et d’arrestation pour m’être soustrait àla justice (ou m’être échappé) dans le procès pour : attaques àla paix publique (juridiction locale), fabrication d’explosifs (juridiction fédérale), l’enquête fédérale contre moi pour terrorisme et délinquance organisée, et, en passant, l’accusation d’outrage àl’autorité pour l’affaire de l’ambassade chilienne de l’an dernier. Dangereux, non ? Dangereuses sont les pratiques et les idées !

Ceci est une autre phase de la lutte que depuis un certain temps j’ai décidé de mener ; il s’agit d’une autre phase, ce qui est souvent commun dans la vie de l’individu qui décide de prendre un chemin d’insurrection et de conflit permanent –intérieur et extérieur–, contre le pouvoir, de qui ne se rabaisse pas et reste en lutte, en usant de tous les moyens, pour la destruction de l’État/Capital ; ceci est une autre phase qui ne signifie pas pour moi la clandestinité (je suis d’ailleurs très critique sur la position de clandestinité comme forme de « Â lutte  » lorsqu’elle est auto-assumée ou volontaire), mais une mesure imposée par l’ennemi et qui trace les lignes et définit de nouvelles conditions pour mener la lutte anarchiste.

Pour profiter de l’espace et être bref, je souhaite rendre public le harcèlement que la police avait mené contre moi [4] (comme la fois où le Secrétariat de la Sécurité Publique et la Police judiciaire m’ont arrêté et libéré après 10 minutes, ceci dans un parc de Mexico alors que nous tenions une réunion publique pour voir quelle était la situation des compagnon[ne]s prisonnier-ères ; ou les visites de la PGR làoù ils supposaient que je vivais, qui était en fait la maison de ma compagne sentimentale, les filatures indiscrètes et régulières, la violation de domicile de ma compagne où ils ont pété entièrement la porte etc.) ainsi que les filatures et le harcèlement de ma compagne et de sa petite fille dont il n’y aurait d’autre responsable que l’État/Capital s’il leur arrivait quelque chose ; et je le dis sans exiger de protection institutionnelle, et sans jouer les victimes, mais plutôt pour exposer la situation qu’elles vivent, elles aussi. Je profite également de cet espace pour envoyer une salutation àtou(te)s ceux-celles qui, sans me faire face, ont passé une partie de leur temps àdire que moi et d’autres compagnon(ne)s collaborions avec la police pour sortir de prison (au moment de l’affaire de l’ambassade chilienne, plus concrètement), ou bien que moi et d’autres compagnons, étions, tout simplement, des policiers… le temps et les fruits de la lutte àcourt, moyen et long terme, donneront raison àqui ils doivent la donner… Je (nous) reste en lutte… Et vous ?

C’est tout pour le moment, je dis au revoir et envoie une forte accolade àtou(te)s. Une accolade, en particulier, àma mère, car je ne lui ai même pas dit au revoir, et àlaquelle ils ont aussi fait du tort, mais qui comme ma compagne résiste sans se plaindre.

Il y a d’un côté l’existant, avec ses coutumes et ses certitudes. Et de certitudes, ce venin social, on meurt. De l’autre côté, il y a l’insurrection, l’inconnu qui fait irruption dans la vie de tous. Le début possible d’une pratique exagérée de la liberté. [5]

Soutien total aux compagnon(ne)s anarchistes prisonnier-ères !

Une salutation fraternelle àFelicity R., Nikos Mazeotis, Pola, et au petit Lambros Victor. Solidarité avec les compagnon(ne)s anarchistes, antiautoritaires et libertaires en fuite. Solidarité et soutien total aux compagnon(ne)s sur lesquel(le)s on enquête au Mexique dans l’affaire de terrorisme et de délinquance organisée. Solidarité avec Amélie, Carlos et Fallon.

Ni vaincu(e)s ni repentant(e)s !
Face àface avec l’ennemi ! Ils ne pourront pas nous arrêter !
Je ne me rends pas, nous ne nous rendons pas !
Vivre l’anarchie !

En lutte contre l’État,
Mario Antonio López Hdz. Tripa
Planète Terre, le 3 février 2014


Deuxième lettre publique

J’aimerais écrire brièvement concernant la semaine de soutien aux compagnon(ne)s prisonnier-ères au Mexique, qui doit normalement être organisée du 16 au 24 mars.

J’aimerais d’entrée dire que mon objectif n’est pas de saboter la semaine en question, surtout pas ; mais que je souhaite établir ma position, puisque dans le texte d’invitation on fait allusion àmoi, on mentionne mon nom et on cite une lettre publique que j’ai écrit de prison.

Bon, àla fin de l’appel en question, on utilise une citation d’un communiqué que j’ai écrit en prison, qui est, àla fin, signé de mon nom. Mais il n’y a pas que ça, puisque la première idée que cela donne est qu’il semble (ou qu’il peut sembler, peut-être en raison de la mauvaise traduction vers l’espagnol) que le texte en lui-même ou l’appel est signé de mon nom, ce qui est impossible pour plusieurs raisons :

Premièrement : parce que je ne suis pas d’accord avec les semaines de solidarité en soutien aux prisonniers (je l’ai été, mais ne le suis plus), et ceci non parce que je ne suis pas d’accord avec la solidarité avec les compagnon(ne)s (puisqu’il est clair que la solidarité est un principe des idées et de la pratique anarchistes, que c’est une éthique individuelle qui est mise en pratique dans notre quotidien) mais plutôt car je considère que le soutien nécessaire et la SOLIDARITÉ RÉVOLUTIONNAIRE [6] avec les compagnon(ne)s prisonnier-ères n’est pas une lutte àpart, tout comme la lutte contre les prisons n’est pas une lutte partielle, mais une lutte qui fait partie de la lutte pour la destruction de l’État/Capital, et qui est inséparable de la lutte pour la liberté. Créer un calendrier spécifique des jours durant lesquels il faut focaliser l’action anti-carcérale me semble donc la même chose qu’obéir au calendrier révolutionnaire de chaque année (manifestation du 2 octobre, 1er mai… et maintenant le 1er décembre, etc.) : cela centralise l’action sur un seul jour, et enlève leur sens aux actions menées au quotidien, et qui sont également pensées pour les compagnon(ne)s prisonnier-ères.

Deuxièmement : parce que ça ne fonctionne pas, stratégiquement, si nous avertissons àl’avance les flics des actions futures.

Troisièmement : en ce qui concerne ma personne, je n’ai pas lancé d’appel àune quelconque semaine de solidarité, manifestation ou action, et n’en lancerais pas ; cela individualise, ou plutôt « Â personnifie  », des actions collectives, dévie l’attention de la lutte et crée des icônes, des leaders fictifs et des gourous idéologiques. On sait bien que je m’oppose aux sigles, aux leaders, aux groupes d’avant-garde, de synthèse ou aux organisations lourdes (anarchistes et non-anarchistes) qui essaient de mobiliser les gens ; je suis par contre pour l’auto-organisation et l’autogestion des luttes, pour l’autonomie et l’organisation anarchiste informelle. Je ne collaborerais pas au cirque juridique du pouvoir qui individualise toujours la révolte collective dans le but de chercher de faux leaders (comme les enquêtes contre moi pour avoir supposément lancé un appel àtelle ou telle connerie) et de cette manière minimiser l’insurrection, la centraliser au niveau d’une personne ou d’un mini-groupe spécifique.

De toutes les manières, un grand merci pour le soutien.
Une salutation chaleureuse.
Vive l’anarchie !

Mario López Hernández
16/03/2014


[Lettres traduites par nos soins de l’espagnol de Abajo los muros.]


[1Je ne fais cette référence qu’en raison de ce qui se passe actuellement, àaucun moment je ne tente de faire utilisation de la rhétorique maoïste selon laquelle la validité de notre lutte ou de nos actions serait fonction de la réponse de l’ennemi, ce qui reviendrait au même que mesurer notre supposée dangerosité au degré de dangerosité que nous attribue l’ennemi, qui est l´État, limitant ainsi l’action et la théorie anarchistes àl’existence de l’ennemi. La lutte contre l’État/Capital est une partie importante de l’anarchie telle que nous la concevons. Je ne sais pas comment des compagnon(ne)s en arrivent ou en sont arrivé(e)s àutiliser cette phrase, qui figure en plus dans le film commercial sur la RAF allemande.

[2C’est dans cette sordide prison qu’est justement incarcéré Carlos « Â el chivo  », voir ici. NdNF.

[3Grupo de Abogadas en Solidaridad con los Presos Anarquistas, groupe d’avocats en solidarité avec les prisonniers anarchistes.

[4Je raconte ceci pour étendre la vision de la répression, sans désir de faire une comparaison qui minimiserait ce qui a été dit àd’autres compagnon(ne)s, ce qu’on s’est arrangé pour qu’ils fassent, ou le harcèlement contre l’anarchisme en général dans la région Centre du Mexique. Ceci verra le jour en fonction de ce qui se passe.

[6Pour comprendre ce àquoi je me réfère lorsque je parle de Solidarité Révolutionnaire, je recommande ici le texte de Pierlone Porcu qui s’intitule précisément « Â Solidarité révolutionnaire  ».