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Lettre du compagnon Paolo depuis la prison de Gand

jeudi 19 novembre 2009

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Mes chers,
Le 25/10/2009, à7h50 j’étais cerné dans la rue, alors que je sortais mon
chien, par trois membres de la SRN, le Service Nationale de Recherche. Je
devais les accompagner au commissariat pour un interrogatoire. Au coin de la
rue, un escadron d’intervention spéciale attendait dans un combi blindé au
cas où je résisterais. Ces enfoirés ne m’ont même pas laissé dire au revoir
àma fille qui allait àl’école àce moment-là.

La veille, le même service de police avait perquisitionné mon domicile en
mon absence. Ils ont confisqué mon ordinateur portable et ont pris toute une
série de photos d’affiches politiques etc.
Au poste, ils m’ont demandé un alibi pour la nuit de 6 au 7 octobre et ils
m’ont posé toute une série de questions àpropos de numéros de portables et
d’un ami. Après lui avoir montré des photos, un témoin m’aurait reconnu
comme une des deux personnes qui auraient incendié un conteneur de chantier
cette nuit-là. [1]

Après l’interrogatoire, ils m’ont arrêté judiciairement. A 14h, je passais
devant un juge d’instruction qui a décidé de m’arrêter, accusé d’incendie
volontaire pendant la nuit contre des biens mobiliers. J’ai été transféré à
la prison où j’ai été mis en isolement jusqu’au jeudi soir. Ceci
probablement pour éviter que je prenne contact avec Jürgen, qui avait été
arrêté et placé en détention préventive deux semaines auparavant, avec la
même accusation plus celle d’incendie de nuit contre des biens immobiliers.
Plutôt rigolo que maintenant, ça fait une semaine qu’on est dans la même
cellule.

Après cinq jours, je suis passé devant la Chambre de Conseil. Le procureur
m’a dit que je suis aussi soupçonné d’autres faits. Le juge d’instruction
est venu le jour même avec de nouvelles données sur un portable. Mon avocat
avait pourtant dit que ceci n’était pas possible le jour de la comparution
devant la Chambre. Donc je me suis fâché. (Pas une très bonne idée dans la
Chambre de Conseil, haha). Ça, et le fait que je refuse de collaborer à
l’enquête sont des choses qu’ils ne supportent pas : détention préventive
prolongée d’un mois.

Maintenant, ça fait deux semaines que je suis dedans et je me suis « habitué
 » au régime carcéral, dans la mesure où c’est possible bien sà»r. Tu te
retrouves dans une situation où l’Etat a le contrôle complet sur ton
existence physique et t’isole physiquement du reste de la société. Làoù, « 
dehors  », il y a une petite possibilité de te soustraire àl’autorité
dominante de l’Etat et du capital, ici tu es confronté àune cristallisation
des rapports sociaux.

Si tu vis dans l’Occident riche et si tu fais partie de la bonne section de
la population, tu peux te faire l’illusion que tu es relativement libre. Tu
peux consommer àvolonté, te perdre dans toutes sortes de réalités
virtuelles et, si tu as du fric, tu peux même aller voyager un peu et garder
l’illusion que tu disposes d’une liberté (de mouvement).
« Dedans  », l’illusion est écrasée par l’omniprésence de l’appareil
répressif qui contrôle tous tes mouvements et les note convenablement dans
de petits rapports. Et si tu ne respectes pas leurs petites règles, ils te
donnent un mauvais rapport et/ou ils te jettent au cachot, te placent en
régime strict et t’enlèvent certaines « libertés  » comme téléphoner, la
visite etc. Tout àfait comme dehors, où les privilèges qu’on a (ces
libertés artificielles) sont vus comme de la vraie liberté, dedans tu
t’habitues après un certain temps àquelques privilèges (comme la promenade,
téléphoner, etc.) et tu ne conçois plus le fait d’être enfermé comme le
problème, mais bien la sauvegarde de certains privilèges comme solution à
tes problèmes. Finalement, ici aussi tu peux, si tu as de l’argent,
consommer àvolonté et te sentir mieux àcause de ça. Te sentir comme si tu
te trouves dans un hôtel bon marché avec la seule différence que tu ne peux
pas aller te promener sur la plage pour regarder des singes, mais où tu dois
rester tout ce temps de merde en cellule, sans grogner…

Ça va bien avec moi, et aussi avec Jürgen, en dehors du fait qu’on est donc
traité comme des mouflets (on ne peut même pas avoir de briquet ou
d’allumettes en cellule). Pour le reste, c’est souvent ta propre attitude
qui détermine comment les autres prisonniers et les matons te traitent, bien
sà»r qu’il y a des enfoirés et des conasses partout. Le plus difficile, c’est
de rester hors de la hiérarchie qui règne ici (la même qui, àl’extérieur,
est seigneur et maître du sort des milliards). Et ceci dit, je ne veux pas
seulement dire la hiérarchie entre l’Etat (matons, flics) et les
prisonniers, mais aussi entre prisonniers eux-mêmes. Car cette hiérarchie
est bien dessinée ici et tu ne dois pas penser, en petit anarchiste, à
attaquer cette structure ou sinon, pour ainsi dire, ils te mettent une
fourchette dans l’estomac.

Tant que les rapports de pouvoir dans toute la société ne sont pas
bouleversés, ces structures ici resteront debout. La destruction des
prisons, de toutes ses structures et de toutes ses formes, comme une partie
d’un appareil répressif et totalitaire, ne peut prendre corps que dans une
lutte totale qui vise àdétruire le capitalisme et son outil, l’Etat. Amen.

Normalement, je devrais passer ànouveau fin novembre devant la Chambre de
Conseil, mais ça a été avancé vers le 9 novembre, la date où Jürgen aussi
doit comparaître devant la Chambre. Bien sà»r nous voulons tous les deux
sortir d’ici au plus vite possible, mais le fait que nous ne collaborons pas
àl’enquête leur donne bien sà»r une bonne occasion de nous emmerder et de nous
garder le plus longtemps possible en détention préventive.

Jusque là, nous restons aux frais de l’Etat, généralement avec un sourire,
mais avec de temps un temps une larme, mais toujours libres dans la pensée !

Pour une société sans classes et sans prisons !

Paolo,
Prison de Gand,
Début novembre 2009.


[1Cette nuit là, un débat a eu lieu àGand avec entre autres Filip Dewinter
[leader du parti fasciste] et J.M. Dedecker [leader d’un parti d’extrême-droite]. Le sujet était, comment en serait-il autrement, le
débat sur le voile. En temps de soi-disant crise économique (car les riches
ne mangeront pas une tartine de moins), le capital (et ses mercenaires, les
fascistes et partis de droite) tient toujours prêt le mouton noir pour
déclencher une chasse àl’homme. Ainsi, il dévie l’attention des problèmes
réels comme la division inégale et criminelle des richesses. Les partis
sociaux-démocratiques de « gauche  » ont participé volontiers àcette
campagne calomnieuse pour maintenir et augmenter leur électorat. Ils n’ont
pas d’autre stratégie contre la droite que de reprendre les points de
vues et la propagande de haine contre les clandestins et les étrangers (sous
couvert d’une guerre contre le terrorisme et, en filigrane, contre l’islam).
Cette même nuit, le Palais de Justice àGand a été attaqué et quelques
étudiants de droite ont été rossés. Ici et là, des feux ont été allumés.