Accueil > Articles > Vieilleries > Le Tréteau Électoral

Le Tréteau Électoral

Par Léonard (1902)

samedi 5 mai 2012

Vous êtes des crétins qui méritez la corde :
Vous n’avez ni bon sens, ni cÅ“ur, ni dignité
Et ne comprenez rien àvotre liberté.
Souverains de carton que l’on compare au chêne,
Quand ne voudrez vous plus, dites ! qu’on vous enchaîne ?
Quand aurez-vous fini de tendre votre cou
A ceux qui dans leurs mains cachent votre licou ?

Oh ! ne renaudez pas, compagnons d’infortune :
Je ne suis pas venu faire àcette tribune
Métier de candidat et chanter vos « vertus »,
Pour obtenir « l’honneur » d’être de vos élus ;
Je suis venu vous dire, ô corbeaux de la fable !
Godiches éternels qu’on flatte et qu’on accable,
Que tous vos candidats, quel que soit leur drapeau,
Ne sont que des renards qui guettent le morceau.
Comment ! depuis le temps qu’on vous ment, qu’on vous leurre,
Qu’on vous laisse le lait et qu’on mange le beurre,
Vous qui produisez tout et ne récoltez rien,
Comment n’avez-vous pas su trouver le moyen
De vous gouverner seuls et vous passer de maîtres ?
Si vous êtes battus, c’est que vous voulez l’être,
Si vous êtes menés tout comme un vil troupeau,
C’est que vous n’avez rien qui batte sous la peau !
Ah ! vous méritez bien de vivre en misérables,
D’habiter des taudis plus laids que des étables,
De supporter le joug et l’orgueil des patrons,
Et, de ceux qui par vous s’élèvent, les affronts !...
A quoi donc ont servi toutes ces hécatombes
De martyrs dont partout on signale les tombes,
De tous ces plébéiens morts pour la liberté,
Puisque rien de ce sang en vous n’a fermenté ?
O peuple dévoyé ! que par farce l’on nomme
Le peuple « souverain », tu n’es même pas un homme :
Tu crains, comme un enfant qui ne sait pas marcher,
Si l’on te laisse aller tout seul, de trébucher ;
Tu doutes de toi-même et n’as confiance
Ni dans ton bras si fort, ni dans ta conscience ;
Tu ne mets ton orgueil et ta virilité [sic]
Qu’àrendre plus puissants ceux qui t’ont enchaîné.
Sois donc ce qu’il te plaît d’être : une sotte bête
Condamnée au travail sans profit, toujours prête
A te forger des fers contre la liberté
Aussi bien qu’àlutter contre l’égalité.

Un long rugissement éclate àma parole...
Et quoi ! le peuple enfin comprendrait-il son rôle ?
O serf des temps passés ! ô plat valet d’hier !
Serais-tu devenu tout d’un coup digne et fier ?
Aurais-tu donc compris, pauvre bête de somme,
Que tout homme ici-bas est l’égal d’un autre homme ;
Qu’il n’est ni titre ni rang dans la société
Qui change le niveau de notre humanité ?
Ah ! s’il en est ainsi, je te crierai : courage !
Tu n’as plus qu’àvouloir pour briser ton servage...
Le Vieux Monde s’effondre et craque de partout,
La tempête mugit de l’un àl’autre bout !
Devant tes oppresseurs que ton front se redresse ;
Rachète dans un jour des siècles de bassesse :
Sois véritablement le peuple souverain,
Et, soumis aujourd’hui, sois ton maître demain !

[Extrait de la petite pièce de théâtre de Léonard : Le Tréteau Électoral, Farce politique et sociale CONTRE TOUS LES CANDIDATS, publiée dans Temps Nouveaux n°24, 1902.]