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Italie : Reflets

lundi 26 janvier 2015

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11 – 12 novembre 2014, Tor Vergata, Rome : un centre pour mineurs demandeurs d’asile est attaqué àplusieurs reprises, avec des bâtons et des gros pétards. Quelques jours après, les mineurs sont transférés.
17 décembre, Paestum, Salerno : les jeunes d’un centre pour demandeurs d’asile dénoncent des conditions invivables, le manque de services et des menaces, avec même des armes àfeu, de la part des gestionnaires du centre.
17 décembre, San Cesario, Lecce : huit gars d’un centre pour demandeurs d’asile se barricadent àl’intérieur du bâtiment, en enfermant avec eux le personnel, pour obtenir ce qui leur est garanti par leur statut de réfugiés : des cartes téléphoniques, de l’argent et un régime alimentaire en accord avec leurs croyances religieuses.

En un peu plus d’un mois en Italie, trois histoires touchent des centres pour demandeurs d’asile. On dirait que tout cela ne nous regarde pas, mis àpart par les relents clairement racistes que certains de ces épisodes révèlent, de ce racisme banal qui s’est installé dans les esprits d’une grande partie de ces « Â italiens, braves gens  » comme dit le proverbe séculaire. Pourtant, si on prenait une minute pour réfléchir, on pourrait voir que ces épisodes ne concernent que quelques personnes qui ont une couleur de peau pour beaucoup de gens pour le moins suspecte, mais reflètent vraiment les vies de beaucoup parmi nous.

Comment ne pas remarquer, dans les assauts de Rome, le reflet de cette guerre entre pauvres qui fait toujours plus rage dans les rues ? Italiens contre étrangers, avec papiers contre sans papiers, chômeurs contre travailleurs au black, illégaux contre légaux, SDF contre squatteurs, vendeurs ambulants contre petits boutiquiers, etc., pour se disputer quelques miettes d’une survie misérable, des miettes tombées des tables dressées avec opulence, où ne peuvent s’asseoir que quelques hôtes privilégiés, toujours les mêmes, qui se gavent chaque jour. Et si l’assaut de Rome était [comme l’ont dit certains journaux ; NdT] vraiment dirigé par quelqu’un qui voulait faire chavirer les gérants du centre pour en gagner ensuite l’appel d’offre, ne serait-ce pas aussi la guerre entre pauvres voulue et dirigée pour détourner notre attention de ceux qui sont les véritables responsables de notre misère collective quotidienne ?

Et ces pistolets appuyés sur les tempes des réfugiés de Paestum, qu’est-ce qu’ils évoquent, si ce n’est pas les nombreux pistolets métaphoriquement appuyées sur les tempes de tant d’autres parmi nous ? Celui du chantage au travail, par exemple, qui oblige àaccepter des jobs de merde dans des conditions inhumaines pour quelques ronds - comme 20 euros pour une soirée de serveur dans les restaurants pour riches du centre-ville de Lecce - ou alors souffrir de la faim. Ou celui de la prison, où on risque de finir si, pour ne pas souffrir de la faim, on décide d’avancer ses mains sur les marchandises dont les étalages abondent.

Et alors, si deux des épisodes que nous avons cités sont le miroir de plusieurs aspects de nos vies, pourquoi ne pas réfléchir aussi àpropos du dernier ? Pourquoi ne pas y voir une possibilité, une incitation et un exemple dans ces huit gars qui, sans aucune médiation, s’auto-organisent et agissent pour obtenir ce qui leur est dà», sans pointer du doigt ceux qui vivent des conditions semblables ou pires que les leurs, mais en identifiant le problème, du moins en partie, en ceux qui occupent l’échelon supérieur ? Qui sait si on n’y prendrait pas goà»t, et qu’une fois savourés les premiers petits résultats, on ne déciderait pas de continuer, d’aller en avant pour prendre aussi ce qui, comme on veut nous le faire croire, ne nous appartient pas.

Une vision de ce genre nous mènerait aussi àregarder de façon différente ceux qui nous ont fourni ces exemples pour réfléchir : ne pas voir dans l’étranger pauvre, traqué, chassé et enfermé, l’autre, mais quelqu’un en qui s’identifier et avec lequel, si nos conditions d’oppression et d’exploitation sont communes, les conditions de lutte peuvent devenir communes.

[Traduit de : Brecce – Journal mural apériodique, n°1, janvier 2015, Lecce, Italie]

Brecce n. 1