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Introduction au concept de gentrification

samedi 18 avril 2009

Le terme « gentrification  » est un terme anglo-saxon, de « gentry  », petite noblesse en anglais. Sa traduction la plus réaliste en français serait « embourgeoisement  », même si celle ci recouvre un sens galvaudé comparé au terme anglais. La gentrification est un processus urbain, par lequel le profil socio-économique des habitants d’un quartier se transforme au profit d’une couche sociale supérieure. C’est donc un processus de substitution des populations : remplacer les pauvres par les riches ou par les classes moyennes.

Conséquemment au développement sauvage du capitalisme depuis la première révolution industrielle, les villes furent de plus en plus peuplées et leurs habitants de plus en plus concentrés. Il existait cependant déjà, des segmentations géographiques, certaines zones étant frappées par la délinquance (les zones portuaires, par exemple) et d’autres occupées par les classes supérieures. Le transport étant difficile et cher, et l’appartenance se déterminant sur des critères surtout ethniques ou professionnels, riches et pauvres ont pourtant vécu côte àcôte. Parfois même dans les mêmes immeubles comme en France : les riches proches du rez-de-chaussée, les pauvres sous les toits, résultat de la politique d’urbanisme haussmanniene.
Mais avec le développement technologique et industriel, les moyens de transports devenus toujours plus capables et rapides, et l’argent supplantant progressivement les autres critères de distinction et de regroupement par quartiers, la segmentation sociale des villes s’est affinée.

C’est aussi la figure du pauvre qui change entre le Moyen-Age et aujourd’hui. La figure chrétienne du mendiant, du pauvre, n’est pas sans rappeler la figure du christ àlaquelle se dévouèrent les ordres mendiants et le développement du vÅ“u de pauvreté. Or, c’est une société de plus en plus laïque et capitaliste qui laisse de moins en moins de place aux états d’âme chrétiens. Au fur et àmesure que les villes ont évolué vers un modèle plus favorable au capitalisme et àl’industrie, les représentations des pauvres dans la conscience collective ont également évolué. Vint alors la distinction entre bons et mauvais pauvres, puis peu àpeu, la vision du mauvais pauvre comme unique perception. De la figure de martyr, le pauvre va peu àpeu se transformer en monstre, en paria. Aussi, le développement des théories hygiénistes apparues essentiellement au cours du XIXe siècle, contribuera peu àpeu àla mise au ban [1] des pauvres. Les riches pouvant alors vivre entre eux en bonne intelligence, en sécurité et dans la propreté.

Ce processus de substitution des populations est cependant très versatile. Tel endroit, hier huppé, peut laisser progressivement la place àune population plus nombreuse et plus pauvre parce que les ressources se sont taries, ou parce que les classes supérieures ont trouvé mieux ailleurs selon des critères culturels de mode. Tel autre quartier, parce qu’il dispose d’attraits naturels et que des inconvénients y ont été supprimés [2] ou que des avantages nouveaux sont apparus [3], ou parce que la classe moyenne s’est accrue et ne trouve plus de place suffisante dans les secteurs qu’elle occupait antérieurement, redevient accessible.

La gentrification se traduit aussi par une pression plus forte des nouveaux habitants sur les pouvoirs publics par le biais du vote, pour qu’ils améliorent le quartier : moins de bruit, plus de sécurité, plus d’équipements, destructions de logements massifs au profit d’un habitat de type pavillonnaire. Elle permet de garantir la solvabilité des citoyens. Le capitalisme préfère des populations qui participent au système en votant, qui consomment, participent directement ou indirectement àla chasse aux pauvres, qui travaillent et qui payent leurs impôts que des populations frappées par le chômage et la misère et qui portent en elles de fortes potentialités de trouble àl’ordre public.

La gentrification désigne donc la migration de classes aisées vers un quartier àla mode, c’est àdire regroupant un ensemble de critères chers àces populations. Souvent, ces migrations se traduisent par une hausse brutale des expulsions immobilières [4], par la rénovation des bâtiments et par l’accroissement des valeurs immobilières entraîné par la spéculation et la hausse des loyers. Les pauvres ne peuvent plus suivre en termes de loyer et sont contraints àchercher ailleurs, dans des zones moins chères offrant moins d’avantages et plus d’inconvénients comme le fait d’être excentrées ou mal desservies par les transports.

Le processus de développement et d’expansion urbaine dans la société capitaliste procède inexorablement par l’expulsion des pauvres vers des zones moins demandées. Ce phénomène engendre souvent des révoltes sociales, surtout s’il se produit brutalement.

Combattre la gentrification ne réduira pas pour autant le capitalisme en cendre. Détruire le capitalisme, par contre, mettra un terme au processus de gentrification urbaine.
Pourtant, l’explosion sociale, les émeutes et les insurrections qui ont éclaté àtravers l’histoire ont retardé ce processus. Reste maintenant àdétruire le capitalisme pour l’anéantir définitivement sans se priver par ailleurs de l’attaquer au sein de ses villes.

Extrait du dossier "Gentrification, Urbanisme et mixité sociale", publié dans Non Fides N°III


[1Racine, notamment, du mot banlieue.

[2Décharges, industrie polluante, zone de délinquance...

[3Une nouvelle industrie, une liaison rapide avec les centres économiques, présence policière renforcée, un parc qui le rend agréable, des espaces culturels pour cadres...

[4Sous des prétextes fallacieux comme l’insalubrité