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Grèce : Texte des prisonniers anarchistes de l’aile D de Korydallos àpropos du tabassage d’un compagnon par l’organisation CCF

vendredi 31 janvier 2014

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Nous pensons que quelques observations sont nécessaires àl’occasion de plusieurs discussions qui ont surgi quant aux derniers événements àKorydallos. Ce que nous pensons être un point central n’est pas de réprouver ou d’isoler politiquement la CCF en particulier (nous nous référons au noyau de prisonniers puisque les cellules de dehors signent du même nom, n’ayant probablement pas connaissance ni responsabilité dans les actes commis par les autres) et nous pensons qui plus est que cela ne doit pas avoir lieu àcause de son orientation politique. Qu’un courant anarchiste tout entier paie pour des actes et des choix d’une de ses parties est la pire forme de politicaillerie. La critique est indépendante du fait qu’il s’agisse d’anarcho-syndicalistes ou d’anarcho-nihilistes. Ce dont il faut se préoccuper sont les conséquences autoritaires qui existent dans le milieu anarchiste et qui s’expriment parfois par la violence physique ou verbale. Nous pensons que la violence est partie intégrante de la vie et de l’action politique quand elle se tourne vers l’État, le capital et le pouvoir, mais qu’elle est stérile, pernicieuse et autodestructrice quand elle s’entremet dans les relations entre anarchistes.

Parce que la soumission est son but objectif et qu’elle rétablit de la pire manière la relation autoritaire entre des gens dont elle suppose qu’ils lui sont hostiles. Son seul résultat est le repli sur soi, la destruction de la dialectique et, en fin de compte, l’annulation dans la pratique de notre perspective anarchiste.

Mais naturellement elle ne sort pas de nulle part. En outre, la propension naturelle au pouvoir et àl’assujettissement est inhérente àchacun d’entre nous, comme le sont respectivement la passion pour la liberté et le désir d’égalité dans les relations entre compagnons. Cette propension apparaît souvent spontanément dans l’expression de nos instincts contradictoires et s’exprime avec ou sans prétextes moraux et politiques, mais la plupart du temps pour des raisons évidentes.

Cela ne fait pas sens que nous parlions ici de la violence qui s’est manifestée pour des raisons personnelles dans des relations interpersonnelles, nous nous limiterons àdire que le fait d’éviter ces méthodes autoritaires est une question de conscience et de cohérence éthique.

Nous parlerons de l’usage de la violence comme un outil d’assujettissement politique, lequel, quand il ne cible pas les autoritaires et se retourne contre les anarchistes, détruit principalement le sens de notre vision anarchiste : qu’il s’exerce dans une manifestation, par exemple, contre des compagnons qui choisissent une stratégie d’affrontement avec les flics quand d’autres ont une stratégie différente, ou qu’il revienne àune critique que l’un considère insultante ou calomnieuse. Dans le premier cas, la seule solution possible est la synthèse des stratégies et si cela n’est pas possible àcause d’un manque d’organisation et de mise en commun, l’issue est de tracer des chemins de lutte différents. Dans le deuxième cas, les analyses devraient être superflues. Puisque c’est un fait connu de tous que même s’il existe une réalité, celle-ci est vécue différemment par les uns et les autres et que les vérités subjectives diffèrent pour chaque compagnon. Quand quelqu’un exprime donc une critique, le plus probable est que celui qui est visé ressente l’impression d’être calomnié. Les limites entre critique et diffamation sont faibles voire inexistantes. La seule réhabilitation de la vérité subjective de la personne visée est son expression àtravers la parole. Aucune imposition violente ne peut enseigner qui dit la vérité, elle montre seulement qui a le plus de force (physique, organisationnelle ou armée).

Néanmoins, le sujet essentiel est que l’invocation d’un code d’honneur insulté et d’une image qui a été froissée ne peut avoir de lien avec le caractère iconoclaste de la critique anarchiste, laquelle promeut la polémique perpétuelle et profane le sacré, libérant l’esprit humain des ankyloses mentales.

Essayer donc de mettre un terme àla controverse entre anarchistes par un acte violent, autoritaire et brutal peut avoir deux possibilités : premièrement, le déclenchement d’un affrontement/massacre violent de plus entre anarchistes pour lequel beaucoup de sang, de salive et d’encre seront versés ; deuxièmement, l’allégeance de tous au code d’honneur chevaleresque conservateur ci-dessus, qui implique l’amputation de la critique par la peur et la castration subséquente de l’anarchie de son outil le plus important, l’auto-évolution.

Nous n’avons bien sà»r pas d’illusions sur le fait que le tabassage de notre compagnon G. Naksakis avait pour but réel de traiter la « syphilis de l’introversion  ». En lisant entre les lignes, quand la CCF écrit qu’il n’existe pas de juste ou de faux, mais que tout est subjectif, ils peuvent très bien désigner notre vérité comme un mensonge et immédiatement après nous désigner comme calomniateurs. Sachant de plus que la menace de mort nous vise indirectement, nous pensons que l’embuscade frauduleuse contre notre compagnon a constitué une phase d’un plan politico-militaire pour imposer le silence autour des discussions àpropos de l’organisation en question. De plus, derrière le fait que le chantage de style mafieux contourne les valeurs anarchistes, elle est non seulement un comportement extrêmement autoritaire, mais aussi l’expression d’un totalitarisme et d’un fétichisme de la violence dangereux, pouvant potentiellement se tourner contre quiconque, ce plan étant complété par la menace contre le compagnon que, s’il ne s’en souvient pas, il aura des problèmes dans toutes les prisons et finira dans l’aile d’isolement-protection.

Naturellement, le totalitarisme est simplement l’évolution logique de l’usage de la violence comme régulateur de la dialectique révolutionnaire. On sait que c’est des rangs du mouvement révolutionnaire que jaillirent la terreur de la guillotine démocratique, la censure sanglante du stalinisme et, qui plus est, le fascisme. Nous pouvons donc imaginer, même si cela sonne comme un oxymore, un « pouvoir  » anarchiste qui exige l’acceptation de son essence anarchiste comme condition préalable afin de ne pas être caractérisé comme diffamateur du parti anarchiste et poussé àla pendaison. C’est le pire cauchemar pour le projet anarchiste, et un danger réel tant qu’ils trouvent de l’espace et se développent dans les esprits, comme ce qu’a montré en paroles et en actes le noyau de prisonniers de la CCF.

Il existe bien sà»r assez de prolongements qui rendent l’événement en question glacial, comme le fait de choisir de risquer de déclencher un cycle sanglant entre ceux considérés comme anarchistes àKorydallos (au sein de l’environnement hostile de la prison), laissant àl’État le rôle d’arbitre pour distribuer des peines àvie dans les cellules blanches et aux corbeaux des médias le soin de diffamer et d’avilir notre lutte, et indirectement le milieu anarchiste, montrant comme un tout indivisible l’ensemble des différents individus, et imputant àtous les actes de certains.

Le fait que nous pensons qu’au sein de l’environnement hostile de la prison il n’y a pas de place pour un retour àla violence de l’autorité par une contre-violence, ne signifie en aucune circonstance que nous accepterons la porte de sortie que laisse stratégiquement le texte de la CCF, mais nous briserons bien sà»r le silence qui tend ànous être imposé par des menaces, prêts àassumer les conséquences de nos paroles.

Une autre dimension enrageante de l’événement est que les tabasseurs ont utilisé comme prétexte la diffamation, une pratique qu’ils ont utilisée àde nombreuses reprises, contre nous comme contre maints projets anarchistes avec lesquels ils ne sont pas d’accord, utilisant une langue où la critique dure se mélange àl’animosité et àune manière agressive de s’exprimer. A fortiori quand, pour répondre àla critique (vague et par conséquent incomprise pour nous) du compagnon Naksakis (qui nous vise nous aussi, non pas pour se dissocier mais pour exprimer son opinion différente), ils le calomnient de manière extrême. L’allégation sans fond que le compagnon critique la CCF pour obtenir un traitement plus clément au tribunal bute sur le fait qu’il a choisi de refuser toute défense légale. Tandis que, dans le même temps, les accusations d’égoïsme et de parasitisme sont démenties par son attitude de confrontation permanente avec l’administration. L’utilisation de la violence physique comme moyen pour soumettre des idées au sein du milieu anarchiste/antiautoritaire est précisément la conséquence de la transformation de discussions de comptoir et d’hostilités personnelles en textes politiques, soit àcause d’ankyloses mentales, soit par vanité. La violence verbale maintenant tolérée et reproduite depuis des années par le milieu anarchiste, déracine les valeurs anarchistes de base telles le respect mutuel et la compréhension, et a préparé le terrain pour la mise en application de telles pratiques.

Pour finir, il ne s’agit pas pour nous de mentionner une page noire de plus de l’histoire de la lutte anarchiste, ni d’isoler des courants ou des organisations anarchistes, mais de supprimer une bonne fois pour toutes des comportements qui gangrènent l’essence de notre lutte. Et nous ne prétendons bien sà»r pas être des oies blanches, la plupart d’entre nous ayant déjàété impliqués dans des incidents de violence entre anarchistes.

Le noyau de prisonniers de la CCF nous a donné un exemple àéviter et révèle simplement quelle est l’évolution de la culture de la violence. Dépassons cela.
Il n’est pas non plus question d’utiliser un mètre-étalon anarchiste et de juger si et combien est anarchiste chaque prisonnier ; cette logique conduit au ciblage facile de compagnons. Le sujet est l’intensité de la violence (deux bras et une jambe cassés) qui a été appliquée et est appliquée comme moyen de pression et qui vise àrappeler le texte. Sujet qui nous pose problème et nous rappelle les valeurs anarchistes de sensibilité et d’indulgence qui nous ont conduits àêtre dégoà»tés du système de pouvoir et àle combattre.

Pour déraciner une bonne fois pour toutes la violence comme outil d’assujettissement politique entre anarchistes et pour la retourner contre l’État et le pouvoir.
Parce que la syphilis de l’introversion fait seulement face àl’ennemi réel par l’action et non par des démonstrations de force machistes.
Parce que la vérité objective n’est possédée que par les inquisiteurs ; les révoltés la contesteront toujours, assumant le poids de leurs choix.

Les anarchistes :
Giannis Michailidis
Babis Tsilianidis
Andreas-Dimitris Bourzoukos
Dimitris Politis
Tasos Theofilou
Alexandros Mitroussias
Grigoris Sarafoudis
Giorgos Karagiannidis
Argyris Ntalios
Fibos Charisis

12/01/2014

P.S. : Ce texte constitue notre prise de position quant àl’embuscade montée contre notre compagnon. Nous n’avons pas choisi de parler des points soulevés par Giannis quant àla position de la CCF au sein de la prison, puisque peu de temps avant que ne se déroulent les derniers événements et que ne soient publiés les derniers textes nous avions décidé de ne pas faire cela, pensant qu’une telle chose serait contre-productive et inutile àce moment précis. De toute façon, nous savons que notre vécu personnel est plus facilement mal interprété que compris.

[Traduit par nos soins du grec de Indy Athenes.]