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Grèce : Pensées depuis les chaînes de la captivité...

Avec pour destination finale nos démons intérieurs... (lettre de Nikos Romanos)

jeudi 12 décembre 2013

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Habitant au pays du temps gelé depuis presque un an, la glace s’est aussi désormais répandue dans mon corps. Quotidien monotone, gestes répétitifs, immobilité générale. Ici les frontières se sont métamorphosées en des portes et des murs faits de fer.

Marche dans la cour, quarante pas de haut en bas et trente-cinq de gauche àdroite. Après, un mur. Haut-bas, haut-bas, gauche-droite, gauche-droite. Avec le temps, tu commences àapprendre par cÅ“ur les détails qui font froid dans le dos des frontières de pierre qui t’empêchent de faire ton quarante-et-unième pas, làoù se trouvent les différents hiéroglyphes, làoù est chaque bosse. Je pense que c’est logique, puisque tous les jours je les ai d’innombrables fois face àmoi.

L’horloge qui se cache dans mon corps s’est elle aussi gelée. Et de savoir que le temps de ma vie s’écoule àrebours me pose problème, le calcul mathématique de la prison quant àmon séjour ici m’inspire du dégoà»t. Remis en liberté sous conditions aux 3/5 de la peine, à1/3 pour les permissions [1], tu dois faire autant de temps avec autant de travail et autant sans.

J’ai toujours détesté les mathématiques qui conditionnent ma vie. Si j’avais de telles tendances, je n’aurais probablement jamais choisi une telle vie. Une simple équation des bureaucrates de la logistique révolutionnaire m’aurait persuadé. Anarchie + guérilla urbaine = illégalisme = mort ou prison, voilàce qu’ils m’auraient dit et ils vont maintenant penser qu’ils avaient raison. Que le diable vous emporte, voilàce que je leur aurait dit et ce que je leur dirais maintenant. La vie humaine n’est pas contenue dans des fractions et des équations. Et la passion pour la liberté n’est hantée par aucun fantôme de capitulation. C’est simple comme les équations mathématiques de la défaite que je hais tant.

Mais revenons en arrière, àcette horloge interne. Tant que j’étais en clandestinité, mon horloge interne était allée chez l’horloger, lequel l’a envoyée àl’hôpital psychiatrique. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit que c’est làque vont toutes les horloges qui habitent les corps de ceux qui combattent la destinée de l’esclavage éternel. Le diagnostic officiel était qu’elle avait été remontée par des mains anormales.

Mais celle-ci défie les ordres et les invocations àun retour àla normalité de l’impunité chirurgicalement calculée. Ainsi, une belle nuit avec la lune lui a fait faire un saut vers la liberté et elle s’est évadée de la chambre blanche de l’hôpital psychiatrique. Je l’ai ànouveau rencontrée lors d’un rendez-vous de conspirateur, où chacun d’entre-nous avait pris les mesures nécessaires de sécurité. Une discussion sincère, de belles promesses et une décision importante.

Plus jamais assujettis, plus jamais avec le regard baissé, plus jamais seuls. Pour toujours sur la rive opposée, àjamais révoltés et profanes, àjamais sur le chemin des hommes libres. Pour toujours, tu entends ?

Je hais ceux qui ont la perversité de réclamer la soumission. Pour ceux-là, les têtes baissées et le silence sont quelque chose comme un rituel où le maître requiert son sujet, digne de le servir.

Je hais de plus la logique des esclaves qui ressentent que la soumission est une forme d’expiation àleurs tourments. Je sais que peu s’échapperont de ce labyrinthe. Je pense qu’il existe des milliers de pages d’histoire où les révolutionnaires tentent de tracer des itinéraires pour s’échapper, d’indiquer le fil d’Arianne. J’en conclus que cela est peut-être insipide parce que ceux qui s’échappent n’ont suivi aucune voie toute tracée, ils écoutent simplement les battements de leurs cÅ“urs.

Je prends une inspiration profonde afin de retourner en prison. Là, mon horloge s’est gelée pour de bon. Je peux dire qu’elle s’est complètement désorientée et que les points de repère se sont perdus en même temps que l’espoir de quelque chose de remarquable.

Mais j’ai tout de même réussi ainsi àtrouver le moyen, quoique temporairement, de briser la glace et de l’écouter, ne fà»t-ce que pendant quelques minutes. C’est le moment où je sors dans la cour et où je porte des écouteurs pour écouter de la musique.

Ici se cache le secret qui se met en mouvement, mes plans qui se déploient devant mes yeux, images, pensées et sentiments dansent au rythme de la musique. Je me contenterai de décrire leur contexte en un seul mot. Vengeance. Je sais qu’ils ne peuvent me garder ici, dedans, àjamais. Je sais de plus que beaucoup ont eu les mêmes pensées que moi et qu’après ils se sont contentés d’un report continuel. Je ne m’inquiète pas, du reste chacun de nos pas est une petite insulte aux statistiques des théoriciens de la vie.

Je me suis promis que chaque menace serait mise en pratique, ils paieront, ils paieront, ils paieront. Pour la paranoïa organisée qu’ils nous offrent, pour chaque jour de captivité, pour chaque insulte de la prison sur nos personnes, pour chaque année de prison qu’ils nous mettront, pour chaque bonjour que nous avons dit aux individus que nous aimions àtravers un putain de téléphone àcarte, pour chaque bonsoir que nous avons prononcé d’une voix tremblante, avec en arrière-plan le soleil se couchant dans la montagne, derrière les barbelés. Et quand arrivera cette heure, je rirai, quand la terreur visitera leurs maisons sans y être conviée. Je rirai et personne ne m’empêchera de le faire.

La haine grandit en moi jour après jour, elle devient incendie et se cache dans mes entrailles. Pendant un temps je rêve que je me transforme en dragon et que je m’assois sur le sommet le plus élevé de la montagne que l’on aperçoit depuis la cour de promenade. Peu avant l’entrée, ce monstre fou décide d’agir logiquement, comme un poseur de bombe anarchiste qui prévient de l’explosion de sa rage, il prend ses amis seulement sur ses ailes et les dépose eux aussi au sommet.

– Vous ne devez pas manquer ce spectacle, leur dit-il.

Il ouvre tout de suite ses ailes, se tient au-dessus de la prison et crache le feu qui brà»lait en lui depuis si longtemps, sur cet édifice pourri, ses lugubres habitants et ses « Â dignes  » travailleurs. Il retourne ensuite sur le mont le plus haut où il a laissé ses amis et surveille le feu, son fidèle allié, qui achève son travail.

Les journaux de 20h parlent d’un bilan tragique et d’une violence aveugle.

Tout le monde s’empresse de rivaliser dans la compétition àla condamnation la plus absolue.

Mais il y a des exceptions. C’est ceux qui ont senti dans leur chair le grondement de la mort lente, de la répression des émotions humaines, du cauchemar de la captivité prolongée qui leur tient compagnie chaque jour. C’est ceux qui se réveillent le matin avec un immense sourire. Et simultanément, aux quatre coins du monde, des milliers de voix le reprennent.

FEU AUX PRISONS

"Si j’étais le vent je deviendrai la tempête, si j’étais le feu je brà»lerais le monde, si j’étais l’eau je deviendrais un torrent impétueux pour le noyer, si j’étais un dieu je l’enverrais en enfer, si j’étais le Christ je décapiterais tous les chrétiens, si j’étais un sentiment j’inonderais les hommes de colère, si j’étais une arme je détonerais contre mes ennemis, si j’étais un rêve je deviendrais un cauchemar, si j’étais l’espoir qui brà»le dans les âmes des révoltés comme une barricade enflammée."

Pour le moment, je me contenterai d’envoyer tout mon amour àceux qui s’arment de rêves pour combattre la civilisation du pouvoir. Avec l’incitation às’évader avec leurs horloges du monde de l’ordre et de passer àl’attaque contre nos oppresseurs, par tous les moyens.

Aujourd’hui et àjamais !
Attaque des mécanismes sociaux !
Vive l’anarchie !

 
Nikos Romanos

Prison d’Avlona
Novembre 2013

[Traduit du grec par nos soins de Indymedia Athènes.]


A propos des six compagnons inculpés dans l’affaire du double braquage de Velvento/Kozani, plus d’informations ici.


[1En Grèce, la législation pénitentiaire prévoit que la peine doit être effectué aux 3/5 pour pouvoir demander une remise en liberté sous conditions. Par ailleurs, ce pourcentage prend en compte le fait qu’un jour de travail en prison est compté comme 2 ou 2,5 journées d’emprisonnement (selon le travail effectué). Néanmoins, la durée incompressible de la peine est de 1/3, temps qui doit être fait quoi qu’il arrive et même si l’on travaille. De plus, chaque prisonnier peut demander des permissions après avoir effectué ce premier tiers de sa peine.
Par exemple, un détenu condamné à9 ans doit obligatoirement faire 3 ans. S’il travaille les deux premières années, qui comptent donc comme quatre, il ne peut être libéré puisque qu’il n’a pas encore effectué un tiers de sa peine.