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Du centre àla périphérie

jeudi 14 avril 2016

Ce tout petit texte est un de ceux qui marquent un changement de paradigme. Il est paru dans le journal d’agitation italien ProvocAzione, en 1987. La deuxième moitié des années ’80 était marquée par le reflux, la fin de l’hypothèse révolutionnaire. Les masses ayant déserté les rêves, quelques groupes luttarmatistes autoritaires continuaient leur guerre privée avec un Etat dont ils n’étaient que le miroir en plus petit. De l’autre côté, il y avait les sempiternels théoriciens toujours prêts àtrouver des raisons pour ne jamais passer àl’acte (et effectivement l’ambiance de l’époque, comparée àcelle de la décennie précédente, était moins conflictuelle). Cependant, entre résignation, abandon et répétition d’un scénario toujours identique, une poignée d’anarchistes persévérait dans le choix du combat contre ce monde, avec pour principes : la liberté, la valorisation de l’individu, la libre association de dizaines de groupes autonomes qui se créent, agissent, et se dissolvent pour se recomposer de nouveau. Conscients de leur relative faiblesse, ces compagnons-làont élaboré une stratégie qui tire sa force de l’assurance de l’ennemi : sa présence partout et l’impossibilité pour le pouvoir de défendre toutes ses structures. Voilàdonc : l’attaque avant tout. Du centre àla périphérie (quand les rapports de force sont défavorables aux révolutionnaires).


L’attaque avant tout. Comme discriminant, comme mot de passe, comme projet concret. Dans les faits. Même dans de petits faits. Pas dans les bavardages. Même si ce sont des bavardages habituels sur les grands systèmes. Si nous devons nous rencontrer, qu’on se rencontre àpartir de cela. Dans les faits, contre les grands projets, les grands temples de la mort, les structures visibles de loin et qui attirent l’attention de tout le monde, même de ceux qui font tout ce qui est possible pour faire semblant de ne pas comprendre. Sur cela, nous sommes tout àfait d’accord. Mais pas seulement sur ça.

Tous les jours, dans nos parcours balisés, contraints par le capital et ses intérêts, nous rencontrons des cibles peu visibles. Ce ne sont pas les grandes cathédrales qui reflètent leur signification sur l’écran géant des moyens d’information de masse, mais ce sont les petits terminaux d’un monstrueux projet de contrôle et de répression, de production et d’enrichissement pour les patrons du monde. Ces petites cibles passent souvent presque inaperçues. Parfois nous les utilisons aussi, sans s’en apercevoir. Mais àpartir du petit ruisseau, mince et inoffensif, se construit, àforce d’affluents, le grand fleuve sale et tourbillonnant. Si nous ne pouvons pas bâtir un barrage sur le fleuve, parce que nos forces ne sont pas suffisantes, qu’on réduise au moins l’afflux d’eau, en coupant une partie de ces petits apports. Cela, nous pouvons le faire. Aucun contrôle répressif, si dense qu’il soit, ne pourra jamais s’assurer de chaque élément de l’ensemble du projet productif. La dispersion dans le territoire est l’une des conditions de la production capitaliste.

Voilà, elle peut devenir le point de départ d’une stratégie d’attaque. Une stratégie facile, qui n’exclue pourtant pas d’autres interventions plus consistantes et, considérées en elles-mêmes, plus significatives.

Mais n’oublions pas que la signification des petites attaques est donnée par leur nombre et cela est possible parce qu’il ne s’agit pas d’actions très complexes, au contraire, la plupart du temps, ce sont des faits décidément élémentaires. Nous pensons que c’est le moment d’aller du centre vers la périphérie.

[ProvocAzione, n. 3, mars 1987 ; traduction française parue dans Des Ruines. Revue anarchiste apériodique, n. 2, automne 2015.]