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Chili : histoire de clandestinité

Écrit depuis une prison de cette société carcérale

mardi 5 novembre 2013

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“Lorsque les adjectifs qualificatifs disqualifient, le nom propre cesse d’en être un...

Nous volons pour la liberté...â€

Il est entré en la clandestinité comme on rentre dans une cascade d’eau.

Un beau jour il s’était réveillé avec un nom et une histoire – qu’on appelle identité –, le problème était le futur.

Sa prochaine demeure, c’était la prison. À la fin de ce même jour rien de tout cela n’était àlui.

Ce qui composait sa personne c’était des bagages, une information qu’il portait en dehors des frontières de sa peau, il allait avec comme une ombre. Un fossé profond s’était élargi entre lui et le futur qu’il avait prévu.

Les premiers jours furent courts. L’adrénaline ne laissait pas l’ennui ou la nostalgie s’installer, il relisait encore et encore le petit bout de papier, déjàfroissé, qui contenait les informations basiques de son nouveau Moi. Il y avait des choses faciles, les noms, le travail, c’était des choses connues en étroit rapport avec sa propre vie ; dans l’immédiateté de la réalité. Mais il y en avait de très difficiles ; les chiffres lui avaient toujours échappé. Il se rappelait le bon côté de sa décision : son humanité résidait dans la fuite. Son Rut [1] contenait une multitude de chiffres, dans un ordre impossible !

Ça allait être long ; il espérait que le fossé allait le séparer du futur obscur, de la prison et son humidité, son froid permanent, ses bruits sourds. Tout ça restera loin, de l’autre côté de l’abîme où il voulait jeter ses peurs les plus profondes. Il pouvait ainsi vaincre la défaite.

Ces pensées lui provoquaient un rire nerveux, la demi-lune de son sourire se dessinait sur sa bouche, et laissait voir ses dents toutes blanches. Il devait le réprimer, il n’allait pas révéler sa liberté aux être obscurs de la Ville.

Quelques jours passèrent, et le temps n’était pas le temps ; l’éclat de rire n’était plus si facile, il y avait moins de joie et plus de réflexion, l’ombre de son identité était toujours collée àses pieds, il pensait aux enfants de Peter Pan qui cherchent leur ombre. Et s’il la perdait ? L’idée l’angoissait. Même ce futur obscur qui faisait partie de cette ombre lui semblait faire partie de lui.

Enfin bon, secouer sa veste et se débarrasser de la nostalgie. Les enfants vont bien grandir. La compagnonne est forte et aimante. Elle lui avait offert un baisé éternel fort et sincère ; rempli d’émotion, il revenait sans cesse sur cette image. Ça le réconfortait et ça lui faisait aussi ressentir sa solitude grande et crue.

Mieux vaut revenir au sentiment de victoire ; la défaite de la défaite... c’est un aliment. Il remplit ses poumons, il était un homme heureux, personne ne pouvait le contredire. La vie, vive, apparaissait àl’horizon. Il y aura du temps, il avait laissé au sol chaque décision du pouvoir sur son corps.

Les rires revenaient – et ça n’était pas la solitude ; il entendait les rires de ses proches, de ses compagnons et des autres, il savait qu’il allait main dans la main avec les pires intentions, et avec les tumultes les plus créatifs de personnes vivantes et mortes.

S’observer, voyager, couler, changer, développer ces autres habilités, se connaître un peu plus. S’aimer beaucoup, et toujours un peu plus. La peur comme bouclier, l’idée dans la paume des mains, voler et voler pour la liberté...

Salutations proches et chaleureuses aux femmes et hommes qui façonnés d’amour prennent l’envol de leurs propres ailes.

-Libertad Estrella-

[Repris de Camotazo.]


[1Le Rut est le numéro d’identification (au Chili).