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Brèves notes sur le Chefresne
dimanche 5 août 2012
Le texte diffusé par le Cran pour le « week-end de résistance  », « THT et retour d’expérience  », commence à entamer la critique de l’orientation prise par l’opposition à la THT Cotentin-Maine. J’en profite pour écrire quelques lignes additionnelles sur ce que je pense dudit week-end, à travers les lectures et les rencontres avec des connaissances qui y sont allées. Bien entendu, je n’ai pas l’intention de donner des leçons stratégiques et tactiques à quiconque à propos de la situation locale, d’autant que, depuis plusieurs mois, je ne suis pas retourné en Normandie et que j’ai suivi de loin le fil des événements les plus récents, par l’intermédiaire de correspondances et de discussions avec des amis plus impliqués que moi.
Donc, le texte sorti par le Cran soulève des lièvres. Malgré tout, il me semble encore insuffisant au niveau de la critique. Pour faire bref, je pense qu’il est impossible d’occulter le fait suivant : bien que l’arrivée de la gauche au pouvoir ait ravivé des illusions sur la possibilité de moratoire, etc., il n’en reste pas moins vrai que le choix, antérieur à la présidentielle, de planter des tipis au Chefresne, d’utiliser le château d’eau prêté par la mairie du village comme prétendue base arrière, de constituer l’assemblée du même nom à partir de bases minimalistes et pétris de bonnes intentions citoyennes, etc. reposait aussi sur la grande illusion de pouvoir utiliser les contradictions entre des pouvoir locaux et le pouvoir central. Ce qui fut signalé par quelques personnes, entre autres par moi, lors de discussions dès le mois de février dans la région parisienne, par exemple, et écarté comme du purisme par les plus acharnés aficionados de l’assemblée du Chefresne. Ce qui revenait à manifester les plus grandes illusions envers l’Etat lui-même, lequel, moins que jamais, n’est réductible de l’appareil central du même nom, au pouvoir d’Etat tel que l’entendent habituellement les milieux d’opposition à gauche de la gauche officielle. La grande question n’est donc pas qu’il y ait des résistances locales « impures  » à mépriser au nom de je ne sais pas trop quelle « pureté  » révolutionnaire, mais de savoir si les plus radicaux sont capables, oui ou non, d’assurer la critique, en théorie et en pratique, de ce qui constitue, dès l’origine, des entraves à l’essor d’activités en rupture avec le monde du capital et de l’Etat.
Bien entendu, à l’impossible, nul n’est tenu et la réalisation effective de telles activités ne dépend pas que de poignées de présumés révolutionnaires. Et elle ne peut pas être résumée à la recherche de formes sans se préoccuper des contenus. Je n’oppose donc pas telle ou telle formes de lutte, en l’occurrence la constitution de camps pour freiner des implantations industrielles en zone rurale, à d’autres, prétendument plus révolutionnaires en elles-mêmes. Des camps, en France et ailleurs, j’y ai déjà participé lorsque cela avait du sens. Par contre, il était possible, dès la constitution de l’assemblée du Chefresne, de comprendre qu’accepter d’utiliser le château d’eau, dans les conditions précitées, c’était accepter en réalité de refouler des antagonismes qui ne manqueraient pas d’exploser au grand jour et de paralyser, en totalité ou en partie, des initiatives dignes de ce nom. C’était accepter d’être dépendant, y compris au niveau des idées, de toute la merde écologiste même lorsqu’elle semble en opposition partielle avec le parti écologiste officiel, vu que celui-ci est prêt à accepter n’importe quel compromis pour participer à la gestion de l’Etat. Dépendant en faisant silence au nom de l’unité présumée de la résistance commune. Je ne sais pas si le problème a été soulevé en Normandie au cours des derniers mois, par contre il a été parfois abordé ailleurs, en France et à l’étranger, y compris par des individus qui avaient déjà participé à des camps, sous forme d’occupation sauvages de terrains, en particulier en Grande-Bretagne.
Concernant le « week-end de résistance  », c’est donc après mà »re réflexion que j’ai décidé de ne pas y aller. D’abord, pour quiconque n’a pas rien appris ou tout oublié, ce qui, vu mon expérience, serait impardonnable, il est clair que l’appel de l’assemblée du Chefresne était du pur recyclage de celui de l’assemblée de Morestel qui prépara la déconfiture de Malville. A Morestel, même des écologistes en cours d’institutionnalisation comme Lalonde reconnaissaient la possibilité d’effectuer des saccages, à condition de ne pas toucher à l’intégrité des personnes qui protégeaient le site du surgénérateur en construction, y compris les syndicalistes CGT qui avaient promis de casser la gueule des « provocateurs  ». Il est vrai qu’à Morestel, il y avait des syndicalistes d’opposition CFDT qui ne voulaient pas dépasser des limites qui briseraient leurs jeux d’alliance avec la CGT. Au Chefresne, pour ne pas froisser les susceptibilités syndicalistes et citoyennistes régionales sans doute, y compris au sein d’EDF, considérées comme des alliés possibles, via SUD, les résolutions furent de la même veine : « L’assemblée assumera toutes les formes d’actions, sans distinction de leur “violence†, tant qu’elles n’atteignent pas l’intégrité physique des personnes travaillant à la construction ou à la protection des lignes.  » En d’autres termes, l’assemblée exclut d’avance les formes d’opposition à l’avancée des travaux dans la mesure où elles conduisent à s’opposer aux travailleurs eux-mêmes, bref à leur travail. Sans même parler des protecteurs attitrés en uniforme. Les syndicalistes, y compris ceux de SUD, qui encadrent lesdits travailleurs, à EDF et ailleurs, n’en demandent pas plus. Vive la « liberté du travail  » ! Les ruraux qui, en Mayenne, il y a quelques années, menaçaient de chasser par la violence si nécessaire les employés de REDF venus faire des relevés sur le tracé de la THT avaient donc tord !
Pour moi, il n’était donc pas question de participer à des caricatures de discussions au sein de telles assemblées qui, loin de ne pas êtres homogènes, comme l’affirme le texte du Cran, ne le sont au contraire que trop sur des questions essentielles et annoncent d’avance les limites qu’elles n’ont pas l’intention de dépasser. Il n’y a là aucune possibilité d’ouverture mais, au contraire, du verrouillage en bonne et due forme, garanti par les appellistes du crà », dans la pure tradition de l’appel de Valognes, rédigé par leur soin. Oui, aucune possibilité d’ouverture, à moins de croire au baratin sur le refus de l’assemblée de « toutes formes de récupération politique  » et à l’appel selon lequel « toutes les initiatives ne devront, en conséquence, afficher aucune appartenance politique ou syndicale  ». Feuille de vigne, depuis belle lurette, de toutes les manipulations bureaucratiques dans les coulisses. La dernière en date étant la tentative d’écologistes locaux « sans étiquette  » apparente, parfois planqués dans l’assemblée du Chefresne, de spéculer sur l’appareil central de leur propre parti pour faire pression dans le sens du renouvellement du moratoire sur les THT, le même moratoire qui a conduit à liquider les résistances locales au fil du temps dans l’immense majorité des communes locales concernées par le tracé de la THT.
Pour le reste, « le week-end de résistance  » préconisé par l’assemblée du Chefresne a été conforme à ce qui précède, à l’esprit citoyenniste qui, à la fois, affirme que le nucléaire est du domaine de la raison d’Etat et qui n’arrive pas à anticiper que ledit Etat est capable de traiter l’opposition au nucléaire avec la dernière des rigueurs si nécessaire. Rarement, l’évolution désastreuse de situations n’avait aussi clairement projeté son ombre à l’avance qu’au Chefresne. L’Etat avait pourtant annoncé la couleur depuis des mois, ce que nous avons été quelques-uns à signaler, quitte à passer pour des défaitistes, des déserteurs, j’en passe et des meilleures en provenance des aficionados de l’appel de Valognes. Pour l’essentiel les organisateurs du « week-end  » en sont restés au niveau des pires illusions propagées par les leaders écologistes à la veille de Malville, amalgamées aux rodomontades des poignées d’autonomes de l’époque. Au Chefresne, l’Etat avait décidé de donner le coup de grâce, de mettre au pied du mur les dernières oppositions locales, l’essentiel d’entre elles ayant déjà été liquidées via les moratoires, les retournements de veste des maires, etc., et de « donner la leçon  » à quelques poignées d’amateurs de « guerre civile mondiale  » qui croyaient pouvoir rejouer aux partisans façon FTP dans le bocage. Mais il n’y a même pas eu de jeu de cache-cache avec les gardes mobiles, qui avait reçu l’ordre de ne rien permettre de tel. Il est toujours possible de se consoler en disant que la coercition aurait pu être pire et que, malgré tout, des rencontres ont été possibles au camp et, parfois, des discussions. Mais, aux dires de pas mal des premiers concernés, je pense que le cÅ“ur n’y était pas. Beau « week-end de résistance  », en vérité, encerclé par l’armée et où, pour l’essentiel, les gardes mobiles ont cartonné sans sommation jusqu’aux écologistes locaux les plus débonnaires. Mais, je n’épiloguerais pas et la chronique des désastres annoncés ne m’amuse pas. Il est des cas où l’on préférerait avoir tord. Enfin, depuis Malville, les bilans de tels pique-niques ne manquent pas, y compris sur l’attitude des « radicaux  », comme le rappelle à juste titre l’un des principaux textes critiques de l’époque, « Autonomie, violence et politique  », édité par Spartacus : « Malville  » a montré que « le pouvoir, non pas se militarisait, mais était bel et bien prêt à utiliser ses forces militaires et s’y était bien préparé : on le savait, depuis Kalkar.  » « Mais les clameurs d’indignation qui ont suivi ont aussi révélé quelque chose de visible depuis Mai 68 : que les « offensifs  » attendent du pouvoir qu’il respecte des conventions tacites, ne pas faire usage des armes qu’il possède et qu’il déploie, qu’il en reste au niveau de la démonstration.  » « Pourquoi ce silence, pourquoi cette illusion ou cette croyance en des conventions imaginaires ? Sinon pour pouvoir continuer à présenter comme des combats réels, que les pacifistes refusent alors que les autres font semblant d’assumer, des types d’affrontements ostentatoires, politiques et aliénés que l’Etat seul peut transformer en combat réel à son avantage.  » Ceux et celles qui ne veulent pas jouer les autruches peuvent toujours consulter de tels textes. L’expérience historique ne règle pas tout, mais elle permet souvent d’éviter des ornières prévisibles, préludes à la liquidation d’oppositions réelles au monde du capital et de l’Etat.
André Dréan,
Juillet 2012
A lire également : Brèves notes sur « Valognes et après  ».