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Bravo, bravo, mes beaux messieurs, soyez satisfaits

Anonyme, septembre 1945.

lundi 27 février 2012

Ce 7 aoà»t 1945 est une date dans l’histoire du monde. Ce jour-là, en effet, le président Truman, àla belle allure puritaine, a pris la peine d’annoncer lui-même aux peuples libres et civilisés que la première bombe atomique de cette guerre avait été lancée sur Hiroshima. Et, en belle forme, il a révélé que depuis 1940 les savants anglais et américains avaient fait des recherches, que 125.000 ouvriers avaient participé àla confection du projectile et qu’il avait coà»té 2 milliards de dollars, soit 100 milliards de francs.

En ce qui nous concerne, nous ne donnerions certes pas vingt sous Pleven pour un tel engin, même livré àdomicile ; mais enfin, nul doute que le contribuable le plus ladre ne soit émerveillé par les résultats obtenus. Pensez donc ! D’un seul coup 150.000 morts dans le même trou. Ah ! elle a été servie, la clientèle. Et puis il faut bien espérer que la fabrication en grande série fera baisser les prix.

Naturellement, toute la presse donne des détails complaisamment. Du sable transformé en verre, une tour d’acier volatilisée en vapeur, une chaleur supérieure àcelle du soleil ! Ah ! y a d’la joie en perspective.

Mais comme il faut, hélas ! s’y attendre, on trouve toujours des empêcheurs de bombarder en rond. Notre Saint-Père n’est pas content et le Vatican a trouvé moyen — une fois n’est pas coutume — de stigmatiser nettement l’emploi de la bombe atomique. Sans doute Notre Saint-Père, qui voit loin, pense-t-il qu’un des futurs belligérants pourrait un jour bombarder Rome ; alors il faut être prudent. Et puis, quoi ? Pour être une Sainteté, on n’en est pas moins homme et l’on a bien le droit de regarder avec méfiance ces charlatans qui du haut du ciel font tomber la colère divine d’une façon telle que Dieu le Père n’y retrouvera pas ses petits. On a tout de même le droit de regretter la belle époque où le feu purificateur venait d’en bas, quand de pieuses mains allumaient les bà»chers au nom d’une croix même pas gammée.

Un patriote, mais un jaloux, vient nous affirmer que dès 1939 il avait commencé des travaux sur la désagrégation des atomes et que l’étranger n’a fait que prendre la suite de ses expériences. Ce jaloux, mais patriote, nous explique que l’« intelligence française  » a sa petite part de responsabilité, sinon active, du moins scientifique, dans la carbonisation des 150.000 malheureuses victimes d’Hiroshima. Le professeur Frédéric Joliot-Curie peut bien se vanter, car il est du côté de la barricade où il n’y a pas de criminels de guerre.

Enfin, souffler n’est pas jouer et pour leur apprendre àvivre àces salauds, àces fanatiques de Japonais, une seconde bombe est tombée sur Nagasaki. Elle était encore plus puissante que la première, voyez progrès. Malheureusement une grande partie de la force explosive s’est perdue dans la mer et comme la guerre est terminée, sur qui continuer les expériences ?

Bravo, bravo, mes beaux messieurs, soyez satisfaits. Rien ne se perd, notait Lavoisier, et peut-être qu’un jour tous ces atomes désagrégés entreront dans le cœur des peuples sous la forme d’une telle haine, d’une telle horreur, d’un tel besoin de vengeance que l’explosion de la colère vous fera tous disparaître.[...]

Texte anonyme, extrait du journal Le Libertaire n°9, septembre 1945.