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Bolivie : Lettre du compagnon Henry àdeux ans du coup de filet antianarchiste

mardi 17 juin 2014

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Nous recevons ces mots du compagnon Henry avec beaucoup de joie en ces temps si néfastes. Cette fois-ci, il nous envoie des réflexions sur ces deux années par rapport àla scène anarchiste de la région. Depuis Solidaridad Negra, nous envoyons notre affection et notre engagement de toujours àHenry et un salut solidaire aux compagnon-ne-s séquestrés par les Etats.

Solidaridad Negra

En passant en revue ce qu’a suscité le coup répressif du 29 mai 2012, il faut se rendre compte dans quel scénario politique nous nous trouvons, et il est nécessaire de recourir àl’analyse et au débat pour contribuer d’une certaine façon àla progression de la lutte contre l’autorité et faire le bilan des erreurs et des réussites.

Après deux ans d’enfermements, un procès forcé et grotesque, comme toujours plus tu es pauvre plus l’(in)justice bolivienne te frappe fort. Cette (in)justice suit une direction répressive, bureaucratique et protège les intérêts bourgeois. Dans ce scénario, nous voyons la dure réalité, la venue de moment cruciaux a réussi àdémasquer son visage, c’est un visage couvert uniquement d’affinités musicales, culturelles et esthétiques, où il y a aujourd’hui un énorme vide révolutionnaire. La répression est parvenue àfaire que certains individus restent dans ce que délimitent la normalité et l’aliénation. Ceux qui ont décidé de rester en lutte ont pu apprendre dans quel scénario révolutionnaire nous nous trouvons, le prix en a été haut, mais la dignité est plus haute que cela.

Apparemment tout marchait bien, des luttes intermédiaires des anarchistes/antiautoritaires sont apparues, par exemple certain-e-s se sont jointe-s àla lutte des handicapé-e-s et ont soutenu le TIPNIS [1], faisant partie de l’éventail libertaire. Dans la lutte multiforme, certaines cellules ont opté pour le sabotage, d’autres ont marché ou renforcé les rassemblements de soutien au TIPNIS dans différentes villes. Quand la 8e marche est arrivée àLa Paz en octobre 2011, un bloc libertaire s’est formé avec des compagnonnes arrivé-e-s de Cochabamba et Santa Cruz, apparemment il s’intégrait sporadiquement au mouvement, malgré les différences il y a eu des points de rencontre contre le Capital, la civilisation et l’ethnocide. On savait que les dirigeants finiraient par négocier avec l’État, mais ces espaces étaient des points de diffusion d’idées et de pratiques anarchistes et antiautoritaires, au-delàdu désaccord avec les méthodes réformistes/bureaucratiques des dirigeants des marcheurs. La solidarité avec les marcheurs a été mise en pratique après qu’ils aient été réprimés àChaparina en septembre 2011. L’année suivante, la 9e marche a eu lieu, elle avait déjàperdu de la force. Le 29 avril 2012, L’État réalise une descente antianarchiste dans la ville de La Paz : arrestations, mises en détention, délation, vide politique et autres misères ponctuent cette histoire.

Il a fallu que la répression atteigne le mouvement libertaire –mouvement entendu non pas comme une association, fédération ou tout autre type d’organisation structurée– pour que nous nous rendions compte du degré de compromis de ces « Â anarchistes  » au moment d’être interrogé-e-s et de faire des déclarations, en plus de leur façon d’agir de manière répugnante, on a pu voir comment ils démantèlent les discours radicaux, soi-disant révolutionnaires. Le montage est basé sur les « Â informations  » d’un infiltré, la première personne arrêtée, des autres délateurs/trices et des « Â réseaux sociaux  ». Le 30 avril, ils nous ont présentés àune conférence de presse comme un « Â groupe terroriste  », le montage est soutenu par la presse bourgeoise, il est élevé àun niveau de spectacle pour distraire et démobiliser des luttes qui se renforçaient et pouvaient « Â porter atteinte àl’image  » de l’État avec l’arrivée de la 9e marche pour le TIPNIS et l’approche d’une assemblée générale de l’OEA (Organisation des États Américains) àCochabamba.

Puis arrive l’épisode carcéral, il y a un soutien collectif du mouvement libertaire, de courte durée car il y a de nouveau de la délation et on découvre que le premier arrêté a donné des informations et a compromis d’autres compagnon-ne-s, et àce moment le soutien collectif qui existait se fragmente totalement. Pendant ce temps, la majorité des gens supposés proches et des compagnon-ne-s jettent l’éponge, en arrêtant et quittant les projets de lutte. Le spectre libertaire s’est réduit àdes mots d’ordre comme « Â la culture n’est pas du terrorisme  » sans approfondir les éléments vitaux de la lutte contre le Pouvoir, comme mettre en débat et analyser la question : qui est terroriste, ceux qui luttent pour une communauté libre de la domination et de l’autorité, ou l’État qui crée des montages, infiltre, poursuit et réprime les individus dissidents ? Ensuite il y a une autre question : victimisme ou innocence ? Le mot d’ordre de « Â l’innocence  » est àla base de la victimisation des personnes emprisonnées. Si nous nous opposons au système établi, il est vain de recherche une issue victimisante : il n’est pas indigne d’assumer ou de nier sa participation àce dont quelqu’un est accusé, mais il est certain que si quelqu’un est puni par le Pouvoir, ce n’est pas parce qu’il est « Â coupable  », parce qu’au-delàde tout cela il y a la protection de l’image étatique qui a été injuriée, en plus de sa capacité àcontrôler totalement la société et àprotéger les intérêts de la bourgeoisie (bourgeois ou k’hara était un terme utilisé pour faire référence au riche de peau blanche, mais maintenant le kh’ara est le bourgeois qui n’est pas nécessairement blanc, il peut aussi être indigène, métis ou eurasien). Ces mots nous poussent aussi ànous poser cette question : qu’est-ce qui a provoqué les arrestations, les sabotages ou l’appareil répressif du Pouvoir ? Ces deux dernières années depuis le début du coup répressif, on a pu entendre diverses incohérences culpabilisant les différentes méthodes de lutte ou les personnes, une position commode, acritique, ennemie de l’anarchisme, vide, àpartir de laquelle sont sortis des appels àdélation sur des personnes qui n’ont pas été arrêtées [2].

Il ne faut pas laisser de côté un aspect très important : la SOLIDARITÉ. Au niveau local, au début il y a eu un large soutien, puis ce mouvement de personnes s’est désarticulé ce qui a mené àdeux choses : celles/ceux qui ont continué àsoutenir les délateurs/trices minimisaient et justifiaient cette attitude en rien anarchiste, et ceux/celles qui m’ont soutenu ont eu le courage de se séparer des premiers, ce geste a été très important, parce que j’avais rencontré des gens avec qui nous avions la même position vis-à-vis de la délation et contre le système punitif. Cette attitude des compagnon-ne-s, même peu nombreux, a été pour moi une énorme recharge de courage et de force, ils/elles savaient qu’ils/elles devaient supporter un poids trop lourd au milieu de toutes les limitations pour que l’isolement m’affecte le moins possible. Au niveau international, le soutien était inconditionnel et très solidaire, de nombreux sites de contre-information se sont positionnés contre la délation après que certaines personnes aient rapporté ce qui se passait de manière erronée. Ainsi les choses se sont clarifiées peu àpeu, les communiqués publics des autres prisonnier-e-s tentant de justifier l’injustifiable ont beaucoup aidé àcomprendre ce qui se passait car il était difficile de comprendre la situation dans une telle confusion. Au début même moi j’étais dans la confusion, et peu àpeu les choses se sont clarifiées, cela m’a enragé de voir des gens qui disaient être des compagnon-ne-s devenir délateurs/trices. La solidarité est une chose très importante pour les personnes prisonnières, ce geste minimum dans la lutte multiforme est un vrai don de force et d’énergie pour supporter la prison, pour ne pas être déconnecté de ce qui se passe dans l’autre prison sociale, on voit même des gestes de soutien entre les prisonnier-e-s de la guerre sociale au-delàdes frontières et le combat continue àl’intérieur des prisons.

Il y a beaucoup àlutter, la pratique de l’anarchie et le rejet de toute forme d’autorité émergent comme une nécessité pour se libérer de toute forme de domination, d’exploitation ou de relation de pouvoir. Certain-e-s pachamamistes diront que cette forme de lutte est occidentale et éloignée du contexte local, mais la réalité nous montre que c’est une nécessité, une façon de concevoir la liberté individuelle et collective ; àdes époques et dans des lieux et contextes différents elle a surgi constamment, pour lutter de façon concrète et authentique, avec toutes ses méthodes et caractéristiques propres. Notre lutte anarchiste peut s’adapter àtoute réalité, cette nécessité surgit parce que le Pouvoir que nous combattons s’est approprié la société. Cependant, la société n’est pas une victime du Pouvoir, elle est son complice en agissant de manière soumise, car la société pratique et reproduit les différentes relations de pouvoir (gouvernant-gouverné, chef-subalterne, professeur-étudiant, homme-femme, mari-épouse, vieux-jeune, représentant-représenté, exploiteur-exploité, urbain-rural etc) et cela étend sa domination et son pouvoir sur les animaux non humains (maître-animal de compagnie, propriétaire-produit).

J’espère que ces mots ne sont pas vides, qu’ils seront utiles pour assumer les circonstances de la meilleure manière possible. Un salut àtou-te-s les prisonnier-e-s de la guerre sociale, aux poursuivi-e-s ou en fuite. Toujours avec la mémoire combative sans oublier ceux et celles qui sont tombé-e-s. Lutter c’est vivre libre, la lutte et la victoire seront avec moi àtout moment.

[Traduit de l’espagnol par nos soins de Solidaridad Negra.]


Plus d’information àpropos de la répression en Bolivie ici.


[1Territoire indigène et parc national Isiboro Secure. Le gouvernement bolivien souhaite construire une grande route traversant le TIPNIS mais la résistance de la population locale est très forte. Plusieurs marches « Â indigènes  » ont été organisées en protestation, certaines réprimées très violemment. Le président Evo Morales a suspendu le projet fin 2011. Cependant, une lutte continue pour protéger le site, et une bonne partie du mouvement libertaire bolivien soutient cette lutte.

[2Quelques informations àpropos de ces infâmes appels àdélation ici ou là, NdT.