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Antifascistes – Aussi dans le troisième millénaire

mardi 22 septembre 2015

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[marron]NdNF : Le 26 février 2011 àCuneo, petite ville du nord-ouest de l’Italie, a lieu l’ouverture d’un siège de CasaPound. Le contre-rassemblement organisé par la gauche officielle (et le maire) tourne vite àl’émeute, avec plusieurs blessés parmi les fachos (un àl’hôpital avec le crane ouvert par un pavé) et les condés (notamment un genou pété).
Le 27 mai, une opération de police mène àl’incarcération de deux anarchistes accusés d’avoir participé aux incidents. D’autres personnes sont placées sous résidence surveillée, deux sont introuvables.
En novembre 2013, 16 personnes sont condamnées àdes peines allant jusqu’à2 ans et demi de prison.

Le texte qui suit était une contribution solidaire en vue d’une manifestation qui a eu lieu en janvier 2012.[/marron]

Nous avons choisi de ne pas rester regarder.
Nous avons choisi notre côté de la barricade.
Nous avons choisi de participer àla guerre sociale qui menace ce vieux monde.
Par dignité – et aussi par haine.
Des femmes et des hommes « libres, qui de leur propre volonté se rassemblèrent […] pour racheter la honte et la terreur du monde  »

(Les passages entre guillemets sont extraits d’une épigraphe de P. Calamandrei [1])

Le 26 février de l’année dernière [2011 ; NdT], le rassemblement démocratique appelé en réponse àl’inauguration, àCuneo, d’un local de CasaPound (qui se définissent eux-mêmes comme les « fascistes du troisième millénaire  ») prend une tournure inattendue. Fatigués d’écouter les bavardages de gauche du maire Valmaggia [2], une centaine d’agités vont vers la poubelle fasciste. S’ensuivent des affrontements avec la police, qui comme toujours défend les fascistes. Résultat : deux–zéro : un fasciste et un carabiniere finissent àl’hôpital. Le 27 mai c’est l’État qui frappe ceux qui ont osé s’en prendre àses larbins : prison, arrestations domiciliaires, mandats d’arrêts pour ceux qui ont réussi àse faire la malle, perquisitions, plaintes. Pour ceux parmi les inculpés qui n’ont pas négocié avec la justice, le procès commencera le 25 janvier.

Dans une période pendant laquelle l’ordre établi commence àmontrer la corde, secoué par la rage de nombreux exploités, voilàque le pouvoir joue ànouveau la carte du (néo-)fascisme, de la guerre entre pauvres. Il s’agit du vieux divide et impera, une stratégie qui malheureusement marche bien. Ces quatre connards en chemise noire nous dégoutent et, comme tant d’autres, nous pensons qu’il faudrait juste les balayer. Le problème de fond, en effet, ce n’est pas eux, mais la société, démocratique, dont le fascisme est le produit et une des expressions.

Au delàdu sentiment d’horreur pour les homicides d’un fasciste àla Casseri [3], demandons-nous quel est ce monde qui a nourri le racisme assassin qui lui appartient, àlui et àtrop de ses camarades ; ce monde dans lequel nous aussi vivons. Combien de millions de personne, même s’ils ne tirent pas sur des immigrés, partagent et alimentent la haine envers toute forme de « diversité  » - c’est àdire envers toute personne qui ne rentre pas dans les normes de la médiocrité ambiante ? Les néofascistes àcrâne rasé sont peu nombreux, mais les idées néfastes qu’ils portent se glissent facilement dans cette zone grise qu’est la dite opinion publique démocratique. Un exemple est le large consensus autour des campagnes sécuritaires de l’État et dont l’empreinte raciste a peu àenvier aux programmes des néofascistes. Puis, ces derniers se posent en instruments utiles, avant-garde du racisme institutionnel, avec agressions, pogroms, homicides. Bref, tout le sale travail auquel leurs collègues en uniforme, toge ou costard doivent paraitre étrangers.

Le fascisme est l’expression la plus brutale et la plus grotesque de l’autorité, d’une société fondée sur la domination de l’homme par l’homme (et sur la nature). Cependant, il n’en est pas la seule expression inhumaine. Comment pourrait-on oublier l’horreur quotidienne des prisons (démocratiques) ? Les assassinats dans les commissariats (démocratiques) ? Les « sans-papiers  » (pour la démocratie) qui coulent dans la mer en suivant le rêve d’une vie meilleure ? Ou bien ceux tués dans les rues de nos villes démocratiques, par un Casseri quelconque ou par un larbin en uniforme ? Dans le premier cas la nouvelle fait scandale, souvent dans le deuxième la vie d’un étranger en situation irrégulière ne vaut même pas une dépêche de presse… C’est dans les sociétés démocratiques (ou en cours de démocratisation) du XXème siècle que le fascisme historique est né. C’est dans l’État démocratique que le (néo)fascisme grandit vigoureux. Ce monde dégueulasse le produit comme du pus infect.

Le problème c’est précisément cette société qui produit racisme, sexisme, patriarcat, homophobie… toute la panoplie de sentiments de haine envers ceux qui n’appartiennent pas àune supposée communauté ou dévieraient d’une supposée « normalité  ». Une haine qui, en encourageant la guerre entre pauvres (et pas contre les vrais responsables de l’écrasement) se révèle être un instrument utile au maintien de la domination sociale.

L’opposition entre démocratie et fascisme est une fausse opposition. Ce sont deux formes interchangeables et superposables de domination. La première est plus présentable, elle se base sur le conformisme et l’habitude de servir, elle tue ou laisse mourir en silence et loin des caméras. L’autre sert dans les cas d’urgence, tue les pauvres qui ont la peu d’une autre couleur, gouverne avec la terreur et bâtit des camps de concentration (mais il y a des camps pour sans-papiers aussi dans l’Europe du XXIème siècle). Ils sont le bâton et la carotte… et ànous tous d’être l’âne inoffensif et soumis.

L’antifascisme des Valmaggia, du Partito Democratico et de la gauche est une opération publicitaire éhontée. Ce qu’ils veulent est simplement monter sur une estrade et se faire applaudir, hurler au méchant loup fasciste, nous assurer que le gentil policier protégera les gens biens et ensuite stigmatisera le méchant anarchiste, le violent qui brise le dialogue démocratique… Ils s’approprient, en la salissant, la mémoire de ceux qui ont pris les armes pour faire tomber la dictature, même bien avant le 8 décembre 1943, même après le 25 avril 1945. Parmi eux, nombreux étaient les anarchistes, encore plus nombreux les communistes, des ouvriers qui pensaient sincèrement lutter pour la révolution, pour un monde meilleur. Pour tous ceux-là, abattre le régime mussolinien (et, pendant les vingt mois de Résistance « officielle  », chasser l’occupant nazi) aurait seulement été le premier pas vers une révolution qui aurait marqué la fin de l’exploitation. Ces idéaux ont été trahis, souvent par les mêmes partis « rouges  ». Sous couvert de démocratie, l’asservissement des masses a continué et continue. Les révoltés de cette époque-làtrouvaient face àeux chemises noires et flics. Aujourd’hui nous trouvons face ànous la police et, parfois, ce que celle-ci ne peut pas se permettre de faire ouvertement, quelques décérébrés qui font le salut romain. Avec les deux, aujourd’hui comme àcette époque-là, aucune discussion, aucun compromis possible.

L’antifascisme c’est empêcher les fascistes de prendre de l’espace pour diffuser leur poison. Un poison qui arrive de la même source que celui de tout État, même démocratique : le principe d’autorité et le conformisme grégaire qui en dérive. Leur empêcher pour de vrai, pas avec des retraites aux flambeaux et des pétitions en défense de la Constitution. Pas en faisant appel àd’autres sbires, en uniforme, du même État. Les empêcher même avec la force, si nécessaire. Avant qu’il ne soit trop tard et qu’ils n’arrivent àimposer encore plus leur haine contre toute diversité.

Pour cela nous sommes solidaires avec les compagnons et toutes les personnes qui passeront en procès pour les affrontements qui ont eu lieu àcause de l’inauguration du local de CasaPound àCuneo. Nous sommes àleur côté parce que nous étions àleur côté ce jour-là, tout comme d’autres fois, dans la lutte contre l’État et ses sbires. Parce que CasaPound ne devrait pas pouvoir ouvrir un local, ni àCuneo ni ailleurs. Simplement, les fascistes devraient disparaître. Avec leurs marionnettistes.

Contre le fascisme – mais surtout contre le monde qui le crée.
Mort au fascisme. Mort àl’État.
Pour la liberté.

Des individualités anarchistes.

[Traduit de l’italien par nos soins d’Informa-azione (13/01/2012).]


[1Cette épigraphe du juriste et antifasciste libéral-socialiste est apposé sur la mairie de Cuneo ; NdT.

[2Alberto Valmaggia, maire de centre-gauche de Cuneo de 2002 à2012 ; NdT.

[3Le 13 décembre 2011, àFirenze, Gianluca Casseri, néofasciste proche de CasaPound, tire sur des vendeurs àla sauvette africains, en tue deux et en blesse trois autres ; NdT.