Accueil > Articles > Vieilleries > Allemagne, 1917 : « Les matelots ne sont pas toujours rigolos  (...)
Allemagne, 1917 : « Les matelots ne sont pas toujours rigolos  »
Par Germinal (27 Octobre 1917)
lundi 5 mars 2018
[brun]NdNF : Nous reproduisons ci-dessous un très beau texte déniché par le collectif Archives Autonomies dont les archives en ligne très diverses et larges (peut-être, dans quelques cas, trop ?) ne manqueront sans doute pas d’intéresser les amateurs de vieilleries inspirantes et révolutionnaires (comme c’est le cas des curateurs de vieilleries de ce site). On avait déjà fait écho à la mise en ligne progressive des numéros de l’excellent Réveil de Luigi Bertoni, présentant une série de points de vue anarchistes sur la guerre mondiale, alors en cours, d’une lucidité, d’une clarté et d’un bon sens qui devraient faire pâlir notre époque.
Le texte suivant paraît dans Le Réveil deux mois après la terrible répression d’une mutinerie au sein de cuirassés importants de la flotte allemande, qui après la bataille du Jutland (31 mai-1er juin 1916) sont contraints de rester à quai dans le port de Kiel, sachant qu’ils ne survivraient pas à une nouvelle confrontation avec la Royal Navy. En aoà »t 1917, les cuirassés Prinzregent Luitpold et Friedrich der Große connaissent une mutinerie d’ampleur due à l’inaction, à la mauvaise nourriture et à la brutalité des officiers. Considérés comme les meneurs, Albin Köbis, Max Reichpietsch, Hans Beckers, Willy Sachse et Wilhelm Weber sont condamnés à mort. Les deux premiers sont fusillés le 5 septembre 1917, les trois autres voient leur peine commuée en travaux forcés.
Cette révolte préfigure les mutineries de la flotte de Kiel de novembre 1918, autant d’offensives révolutionnaires courageuses et déterminées qui participeront à accélérer la chute de l’Empire allemand et à mettre fin à la Première Guerre Mondiale, servant de modèle au mouvement révolutionnaire allemand florissant de l’après-guerre. A tous ces titres, elles méritent bien un souvenir, à défaut de bien mieux.[/brun]
Contrairement à ce que dit la chanson, les matelots ne sont pas toujours rigolos. La barque rustique du pêcheur, le beau paquebot qui file vers les lointains continents, le cuirassé qui montre les grandes et menaçantes gueules de ses canons, le torpilleur qui glisse sur les flots comme une flèche et le sournois sous-marin qui donne la mesure et du génie des hommes et de leur malfaisance, nécessitent une grande dépense d’énergie pour se mouvoir. Nul autre que ceux qui ont vécu sur les flots ne peut savoir ce que renferme de souffrance la coque d’acier qui fuit, là -bas, à l’horizon, et qui ne révèle sa présence que par le panache de fumée qui s’en échappe.
Les gens qui ne connaissent les choses de la mer que par les récits coutumiers sont tentés de voir, dans la personne des marins, des Robinson Crusoé découvrant à chaque heure un monde nouveau. Ils ignorent la rudesse du labeur à accomplir ; ils oublient que sur les flots l’homme est à la complète merci des éléments et que, cependant, celui qui est fort ne diminue point l’oppression qu’il fait peser sur celui qui est faible ou qui croit l’être. Ces marins qui conduisent toutes les richesses du monde et permettent, ainsi la vie des sociétés modernes, subissent une loi barbare comme aucune autre. Aujourd’hui comme dans le passé, le capitaine est — après Dieu, disent les chrétiens — maître absolu à son bord ; souvent il le fait terriblement sentir.
Est-ce parce qu’ils se rendent compte de leur œuvre immense, parce qu’ils voient toutes les merveilles des cinq parties du monde, qui se complètent et s’harmonisent et, pourraient faire de notre globe un paradis s’il était une meilleure ordonnance des choses et des hommes, ou est-ce plus simplement parce qu’ils souffrent beaucoup que les gens de mer lèvent plus facilement que les terriens l’étendard de la révolte ? Quoi qu’il en soit, les mutineries et les insurrections de marins sont relativement nombreuses et dans le mouvement populaire de ces dernières années, ils ont joué un rôle en vue. Après les russes, les brésiliens, les portugais, les chinois, voici que nous apprenons, par la bouche du ministre allemand de la marine, que des matelots ont tenté, à la suite de la révolution russe, de provoquer un soulèvement des équipages de la flotte de guerre. Nous ne connaissons l’ampleur du mouvement ni de la répression, l’amiral Von Capelle s’étant borné à déclarer que des hommes avaient été condamnés à mort et exécutés, tandis que d’autres subissaient une peine de vingt ans de travaux forcés.
Les journalistes bourgeois qui, depuis aoà »t 1914, sont professionnellement indignés, n’ont pas protesté contre cette barbarie impériale. En protestant contre l’assassinat, légal ou illégal le mot importe peu quand le fait est — des marins allemands, qui aspiraient à devenir des hommes libres, il aurait fallu également parler de la tuerie de Turin et de mille autres massacres ordonnés par des gouvernants qui, démocrates ou autocrates, ne s’imposent aux peuples que par la prison, le fer et le feu.
Bien qu’échouée, la tentative des matelots allemands nous remplit d’espérance ; plus que d’inutiles et sauvages combats avec la puissante armada britannique, elle nous rapproche de la solution désirée par tous les hommes dignes de ce nom, à savoir la paix imposée par les peuples. Là -bas aussi se lève l’aube nouvelle. La révolution russe qui sème la terreur ou l’inquiétude dans le camp des malfaisants, fait monter partout la sève libératrice. De l’Orient lointain le bruit du tonnerre est perceptible ; bientôt il éclatera, brisant les cadres vermoulus d’un monde criminel, permettant à l’ondée bienfaisante de se répandre sur l’humanité assoiffée de justice et d’amour.
Adieu ! marins, frères assassinés ; le sang dont vous avez rougi le sol, près du poteau, a plus fait pour réaliser notre grand rêve de liberté que les plus furibondes batailles d’esclaves contre esclaves. Servant d’exemple à de nouveaux compagnons. votre mémoire vivra à travers les siècles !
Sachse ! Reichspietsch ! vous resterez vivants parmi les hommes libres, alors qu’auront depuis longtemps cessé de hanter les esprits vos bourreaux couronnés, car eux ne font qu’œuvre de mort, tandis que vous, même en mourant, travaillez pour la vie.
[/ Germinal.
In Le Réveil communiste-anarchiste N°473, 27 Octobre 1917.
Titre original : La mort des matelots./]
En complément :
A Wilhelmshaven Max Reichpietsch et Willy Sachse font circuler du matériel de propagande, des brochures et établissent des contacts avec d’autres navires. Au mois de juin 1917 ils passent à la construction d’une organisation clandestine : la Ligue des soldats et marins. En quelques semaines, par le biais d’hommes de confiance, un réseau très souple couvre l’ensemble de la flotte que dirigent des comités clandestins. Une grève de faim est menée et est victorieuse. L’objectif est de déclencher un mouvement de masse pour la paix dans la flotte de guerre. C’est à ce moment que Max Riechpietsch, se sentant proche de l’USPD, décide d’en référer à ses responsables (comme Dittman). Ceux-ci sont incapables de comprendre à quel point ce type d’action implique de rupture avec le légalisme, l’électoralisme, tout le train-train de la social-démocratie pantouflarde et bureaucratique. Ainsi pour anecdote invraisemblable : "Dittman regrette de ne pouvoir remettre gratuitement aux marins des brochures reproduisant son discours contre l’état de siège : le cas n’a pas été prévu par le trésorier du parti !!" ou encore : "(Dittman) remet des bulletins d’adhésion à remplir et à renvoyer par ces jeunes gens pour qui la moindre activité politique est passible du conseil de guerre".