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Adieu Non Fides

samedi 28 novembre 2009

Après deux ans d’existence et quatre numéros, le journal Non Fides a décidé d’en finir.

Né de la volonté de plusieurs individus de faire quelque chose qui leur ressemble, ce journal se voulait une sorte de proposition àcréer, écrire, débattre et réfléchir. Il nous apparaissait àl’époque qu’un certain manque se faisait ressentir dans les domaines de l’analyse critique et de l’écrit, un manque loin d’être comblé, àquelques exceptions prés, par les multiples journaux ne s’éloignant pas des habituels chemins militants et alternatifs.

En ces temps où tout laisse croire que la lecture, l’analyse ou la théorie sont devenus des efforts insurmontables, un privilège d’académiciens et d’intellectuels, et où au final on sait de moins en moins lire, y compris dans les milieux radicaux ; àcette époque où l’on doit choisir entre deux spécialisations : l’activisme ou l’intellectualisme ; àcette époque où tout semble converger vers la dégradation qualitative de la pensée révolutionnaire, vers l’appauvrissement des rapports humains, nous voulions, avec Non Fides, contribuer ànotre mesure, àopérer une jonction entre l’activité et la réflexion, l’action et l’analyse. Les personnes qui se sont impliquées dans ce journal au cours de ces deux années, se sont rencontrées dans différentes luttes et ont voulu, ensemble, aller plus loin et partager un peu plus que de simples rassemblements, mouvements, activités, activismes.

Au fil de notre évolution, il serait malhonnête de dire que nous ne nous sommes jamais senti dépassés par l’accueil que nous avons reçu ici et là. Un accueil souvent respectueux dans sa réciprocité, mais un accueil la plupart du temps fait d’enthousiasme acritique, ou àl’inverse d’une stigmatisation permettant d’éviter tout réel conflit d’idées. L’un comme l’autre nous ont encouragés àvouloir en faire toujours plus, et c’est cette course effrénée qui a amené ce sentiment d’aliénation que nous ressentons aujourd’hui, de Non Fides par rapport àceux qui l’animaient. Comme si Non Fides n’était plus qu’une représentation permanente de lui-même.

Nous tenons àrappeler plusieurs choses. Tout d’abord, nous n’avons jamais voulu, ni prétendu représenter quoi que ce soit, ni une organisation, ni une tendance au sein d’un mouvement plus large, ni un courant, ni une fraction quelconque d’un hypothétique mouvement social, et ce malgré les jugements àl’emporte pièce qui nous ont été adressés : tantôt nous étions les « totos  », tantôt les « intellos  », tantot les « rupturo-rupturistes Â » tantôt les « insurrectionalistes  », tantôt des « assoiffés de violence  ». Si nous avons certainement fait l’erreur plusieurs fois d’employer ou de reprendre ànotre compte des « ismes  » superflus, parfois pour les critiquer (mais sans que personne ne s’en aperçoive), parfois pour les pousser plus loin, il semble que ces erreurs, nous les avons payées cher jusqu’au bout de l’aventure.

Si nous parlons d’aventure, c’est bien cependant, que nous ne regrettons rien, pas même nos erreurs qui ont contribué ànotre évolution et dont nous ne ressentons pas le besoin de nous cacher, ou de les nier. Le journal, et le site qui lui est attaché, ont été le reflet de l’évolution qui a traversé chacun de nous ; une évolution qui n’est jamais facile, certes, mais nécessaire, et qui est toujours restée attachée àson autonomie vis-à-vis des idéologues et des logiques de milieu, parfois avec tant de conviction que nos choix n’ont pas toujours reflété notre objectivité.

La publication Non Fides n’a jamais rassemblé que quelques individus motivés, et comme nous l’avons régulièrement répété, n’a jamais affiché la volonté de s’agrandir, ni fait quoi que ce soit dans ce sens. Au contraire nous avons répété àqui voulait bien l’entendre que nous préférions la multiplication des initiatives àl’unité derrière une grande et même chapelle. Toujours pousser vers la qualité, quitte àce que la quantité en pâtisse ou ne soit pas au rendez-vous. C’est aussi pour cela que la volonté majeure derrière les publications, a toujours été de lutter contre la confusion, le frontisme et la fausse unité. Ce type de position ne nous a semblé que très rarement comprit, et cela fait partie des raisons qui nous poussent àarrêter.

Le journal est devenu de plus en plus important au fil du temps, de plus en plus présent. Cela, ajouté àl’appauvrissement général dont nous parlions précédemment, nous a amené àun résultat que nous ne souhaitions pas mais que nous avons malheureusement contribué àrenforcer, àsavoir une impression d’hyper-visibilité et d’omniprésence, souvent virtuelle. Nous admettons sans gène notre part de responsabilité. Cet enthousiasme nous a entre autre amenés ànous doter d’un certain nombre d’outils pratiques (site, brochures, infokiosque…) qui ont contribué àrenforcer l’image d’une organisation large et formelle, et ce malgré nos vains efforts pour infirmer ces critiques. Face àla confusion ambiante (dont certains d’entre nous étaient issus), et contre laquelle nous voulions nous inscrire, nous avons eu tendance àforger un discours anti-organisations, avec la volonté de déconstruire chaque pan de ce qui nous déplaisait dans leurs divers discours nauséeux. Dans cette bataille, nous sommes sans doute tombés dans un piège malsain, celui de reproduire des réflexes d’organisation, même informelle, et par là, de nous constituer en tant que « pôle  » distinct et facilement étiquettable au milieu de tout ce qui se dit « subversif  ». Ceci ajouté àun réflexe de mettre des signatures et des logos làoù il n’y en avait nul besoin, et la coupe était pleine. Reste qu’àla fin, et après de nombreuses discussions, nous avons identifié Non Fides comme ce logo que l’on pouvait apposer derrière chacune de nos productions, tel un réflexe conditionné propre aux organisations formelles pour lesquelles nous étions pourtant loin d’éprouver une quelconque sympathie. Cette erreur a été facilitée, ànos yeux, par la place démesurée qu’occupe internet aujourd’hui, et qui fait que les « discussions  » entre révolutionnaires ont de plus en plus lieu ailleurs que dans la vie, avec l’appauvrissement qui en découle fatalement, mais aussi toute la cohorte de bassesses, d’insultes faciles et sans conséquences que cela permet, de toute part.

Malgré tout, nous avons toujours tenu àproduire un journal papier, avant toute chose, et en priorité. De ce point de vue, nous sommes assez satisfaits du résultat, et contents qu’un journal comme Non Fides ait pu exister, ne serait-ce que le temps de quatre numéros.
Lorsque nous avons publié un « avis aux lecteurs  », relatif àla question financière et ànos publications, cela s’inscrivait également dans cette volonté de maintenir l’existence de la presse écrite anarchiste, et quand nous disons cela, nous ne parlons évidemment pas d’une diffusion suivant les schémas et les outils de la presse classique, avec ses codes-barre, antivols, ISBN, et autres kiosques fourre-tout. Nous avions évidemment en tête la volonté de briser une tendance àla consommation de journaux anti-autoritaires, qui n’apporte rien d’enrichissant, d’un côté comme de l’autre. Cet avis traduisait une certaine lassitude, malgré la masse de compliments oraux que nous avons pu recevoir, mais qui n’allaient pas plus loin. Voici ce que nous disions àl’époque : « Le constat, avec l’émergence d’internet et la perte du contact humain qui en découle, que ce genre de publication est de moins en moins soutenue est largement partagé par une majorité de compagnons éditant du papier. Des publications de qualité meurent, réduisent leurs tirages ou se délocalisent sur le net. Pour des anarchistes, ce constat est plus que navrant. Savoir que de nombreuses personnes promettent des chèques qui ne viennent pas et ne pensent jamais aux frais d’envois qui sont les nôtres, que beaucoup, dans une attitude de consommation toute démocratique ne filent jamais un rond àla presse anti-autoritaire que pourtant ils trouvent de l’intérêt àlire, nous informe d’une détérioration claire des rapports. Avoir le même rapport àune publication comme Non Fides, qu’àdes publications commerciales montre également àquel point la société de consommation a su envelopper de sa main sale les petites bulles auto-proclamées subversives. Â » Cette impression est toujours la nôtre aujourd’hui.

Sortir un journal comme celui-làa toujours été une galère financière pour nous, et il nous semblait qu’il allait de soi dans l’esprit de chacun, qu’un journal prêt àl’emploi et disponible ne puisse pas sortir de nulle part et tomber du ciel. Le tirage a toujours coà»té cher, ce n’est pas une nouveauté, et en tant qu’anarchistes, nous ne sommes pas disposés àtrouver l’argent par n’importe quel moyen, mais selon notre éthique. Ce choix était assumé, pour créer un certain contact humain, éviter la froideur totale d’un PDF balancé sur le net, lu avec les pieds et rangé dans des dossiers virtuels par des archivistes des mondes parallèles. De notre côté, lorsque nous lisons une publication qui nous intéresse sincèrement, nous nous démerdons toujours pour lui filer un coup de main, même modeste, qu’il soit financier ou non, d’ailleurs ; traduire, reprendre des textes, diffuser les publications... autant de petits gestes qui peinent àdevenir réciproques, freinant ainsi la diffusion et la création de liens affinitaires et mutuels, et agrandissant l’isolement. Cette réciprocité anti-consommatrice, éliminant de fait les schémas séparatistes auteurs/lecteurs, nous ne l’avons jamais assez ressenti, encore une des raisons de cette mise àplat générale. En résumé, nous tirons des conclusions assez pessimistes, notamment sur le fait qu’il faille être riche et populaire aujourd’hui pour pouvoir proposer un journal de qualité àprix libre et s’y tenir, et pour que sa diffusion dépasse les petits cercles restreints d’aficionados. Il ne s’agit pas làde considérations économiques, et comme nous l’avons souvent répété, être déficitaires ou non, nous nous foutons de cela. La question était ailleurs : être en mesure de continuer àdonner une existence papier ànos publications et àpouvoir en retirer encore un peu de sens. Un journal qui ne s’inscrit plus dans une dynamique satisfaisante (émulation, polémiques, discussions, conflits, enthousiasme, solidarité, partage) perd ànos yeux une partie de sa raison d’être.

Tout autre chose : nous avons souvent reçu le qualificatif de « juges  » assis dans leur tour d’ivoire, totalement détachés des réalités et délivrant les bons et mauvais points en terme de radicalité, de façon idéologique. Ou alors d’être des « révolutionnaires hors-sol  », attendant le Grand Soir en crachant sur toute initiative jugée « molle  », « réformiste  » et insuffisante. Face àcela, nous répondons simplement que les individus ayant participé àce journal se sont toujours refusé àreproduire la classique division/séparation entre théorie et pratique, et cela ne changera pas. Non Fides étant un outil anonyme, il n’avait pas àrendre compte des activités de ceux qui le composent. C’est pour cela que lorsqu’on nous envoyait, comme seule réaction àdes réflexions, la remarque : « Vous critiquez tout, mais qu’est-ce que vous faites concrètement ?  », nous avons toujours refusé de répondre àcela. Tout ce qui a été proposé par le journal Non Fides (journaux, affiches, tracts, brochures) a eu une existence réelle : les journaux en librairies, les brochures sur les tables de presse, les tracts diffusés dans la rue, les affiches collées sur les murs. Les tables de presse, par exemple, ont toujours fait partie de nos activités régulières, et cela non plus ne s’arrêtera pas. Aussi, aux « anarcho-flics  » qui nous ont sans cesse emmerdés avec leurs questions sur la concrétude de nos activités, nous n’avons qu’une seule chose àdire : sales flics. Chercher un ou des auteurs, publiquement, derrière chaque texte, chaque affiche, tract ou action, c’est faire un travail de keuf, c’est mériter sa correction.

Un journal disparaît, mais pas les individus qui le faisaient, et ceux-ci comptent fermement continuer ce qu’ils ont fait jusqu’àprésent avec l’expérience de leurs erreurs, mais aussi àexplorer des voies inconnues, avec au cÅ“ur une irrépressible volonté de subvertir ce foutu monde dans lequel nous vivons et contre lequel nous nous battons, et de ne pas laisser en paix tout ce qui contribue ànous maintenir esclaves. Un journal qui meurt pour exploser en une multitude de projets qui ne s’y référenceront pas.

A bientôt, ailleurs.
Vive l’anarchie.


On pourra toujours commander des exemplaires de Non Fides N°4, àl’adresse habituelle. Ce site, lui, plutôt que de se contenter d’être la vitrine d’un journal, continuera son chemin autrement. Il prendra peu àpeu la forme d’une base de donnée anarchiste internationale et multilingue qui pourra servir (àcelles et ceux qui en ressentent le besoin) d’archive de tracts, affiches, journaux, textes, brochures, analyses, actualité et contre-information. Nous continuerons le travail effectué sur les vieilleries, ainsi que les traductions. Nique la France, guerre sociale.