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A propos de la réouverture des maisons closes

mardi 10 juillet 2012

Actrices pornos, escorts, dominas, masseuses, télé-opératrices du
téléphone rose ou du minitel, hôtesses de bars, call-girls,
strip-teaseuses, prostituées travaillant chez elles, dans leur
camionnettes ou dans les bois… Il y a autant de situations, de parcours
individuels que de
"travailleuses du sexe ", " putes ", " filles de joie ", "fleurs du
bitume", " courtisanes".

Sont incluses dans la dénomination (et la féminisation) du terme "pute" 
toutes les femmes, hommes " bio " et transsexuel-le-s, personnes
intersexes et hermaphrodites, etc. qui exercent cette activité. Putes 
plutôt que " prostituées " ou  " travailleuses du sexe ", formulations qui
insistent sur le fait que les personnes sont passives/victimes ou
travailleuses comme les autres. Je vois un intérêt àincarner une des
positions sociales les plus méprisées pour refuser le statut de victime
automatique, et porter des positions féministes dont le refus de la
sacralisation du sexe, le questionnement du couple, etc. J’ai parfaitement
conscience qu’il ne suffit pas d’avoir en commun le fait de pratiquer du
sexe contre de la thune pour partager des affinités. Le fait de se
reconnaître " pute " et de ne pas avoir envie de s’insérer dans le monde
du travail ni dans cette société de façon plus large pourraient être,
selon moi, des points de départ minimaux pour une rencontre.

Prostitution choisie / subie

La prostitution dont parlent tant les défenseurs de l’ordre moral, est un
des visages de l’exploitation subie par toutes celles et ceux qui sont
fragilisés/maintenus en situation de survie par le système capitaliste.
Cette situation concerne un grand nombre de personnes, françaises et
étrangères, qu’elles et eux fonctionnent ou non avec un mac, sous pression
de réseaux mafieux, dans le cadre d’une communauté qui parfois exige le
remboursement du prix exorbitant d’un voyage ou pour obtenir de la came.
C’est une des formes de l’exploitation dégueulasse que j’ai envie de
combattre, ni plus ni moins. En tant qu’individu désireux de vivre dans un
monde débarrassé de toute formes de dominations/ autorité, dont l’état et
le capital, et non en preux chevalier (ou en citoyen défenseur du droit)
venu sauver qui que ce soit.

Il y a aussi des personnes qui ont choisi d’échanger des services
sexuels contre de la thune. Choisi pour autant que le fait de
travailler puisse venir d’une volonté des individus et ne pas être dicté
par la nécessité de se loger, d’avoir àbouffer… Des travailleuses
indépendantes  : sans mac, qui définissent elles-même leurs modalités de
travail (pratiques, horaires, lieux, fréquence) en tentant parfois de
créer avec d’autres des solidarités qui les rendent moins vulnérables.
Contrairement aux fantasmes répandus, cette forme de prostitution concerne
de nombreuses personnes, toutes nationalités confondues. C’est mon cas. Je
suis  escort, c’est-à-dire que j’ai une annonce internet qui me permet de
rencontrer des clients, de façon intermittente. Quand j’ai du temps pour
cela, en me donnant un certain nombre de critères qui permettent de
sélectionner les passes et en refusant certaines rencontres avec des types
que je ne sens pas. Je ne pense pas qu’une activité permettant la survie
en termes économiques soit émancipatrice, même si son choix est déterminé
par une réelle curiosité. S’il arrive qu’on y picore des choses qui nous
permettent d’affiner des réflexions, ou de prendre confiance dans des
capacités d’adaptations, ce sont sans doute des éléments qu’on aurait très
bien pu trouver ailleurs, sans qu’il nous en coà»te autant. Je ne suis pas
arrivée par hasard àla putasserie, mais avec l’envie d’explorer mon corps
et de continuer àfaire mon mélange d’idées et de pratiques en lien avec
l’anarchisme et le féminisme. Ce texte est issu pour partie de
discussions avec des copines, amies, compagnes de route ou
inconnues rencontrées au détour de voyages qui avaient fait des choix
similaires, ou non.

Voilàoù j’en suis concernant ce que pourraient être des pistes de
réflexions sur la ré-ouverture des maisons closes. Que le lecteur ou la
lectrice qui viendrait ici chercher des vérités toutes faites ou un
positionnement spectaculaire, éloge trépidant d’une prostitution
émancipatrice, passe son chemin. Je ne ferai pas l’éloge du Travail.

Humanisme et sécurité intérieure

La députée UMP Brunel publie en 2010 une tribune dans "le monde" pour
annoncer la possible réouverture des maisons closes, fermées
officiellement depuis 1946 (et en pratique, depuis le début des années
1960). Michèle Barzach (1990), Françoise de Panafieu (2001) et Christine
Boutin (2009) avaient elles aussi créé l’événement en lançant l’idée à
leurs époques respectives. Cette fois, Chantal Brunel justifie sa
proposition par le soi-disant échec de la Loi sur la Sécurité Intérieure
ou LSI de 2003 concernant la prostitution. La députée déclare avoir voté
cette loi en 2003 pensant que cela diminuerait le nombre de prostituées et
propose que "soit mis àl’étude un cadre qui permettrait une réouverture
minutieusement contrôlée des maisons closes (protection médicale,
judiciaire, financière, cadre juridique…), tout en contrôlant par ailleurs
l’achat de services sexuels". Inutile de préciser que Brunel, comme les
autres étayent leurs motivations par des arguments humanistes  : mettre les
putes "àl’abri des des agressions". En arrière plan, l’idée que notre
place en tant que prostituées, mais aussi en tant que filles, ne serait
pas dans la rue mais dans des établissements où l’État se chargerait de
notre sécurité… et on nous ressert une fois de plus le coup de l’État
protecteur, qui veillerait ànotre bien-être… bien malgré nous.

Les répercussions de la LSI

En théorie, la prostitution n’est pas illégale en France. Mais, dans
les faits, la Loi sur la Sécurité Intérieure (LSI) de 2003 qui
complète la réglementation sur le proxénétisme [1] et réintroduit le délit
de racolage passif [2] a été une catastrophe pour les putes. La
réintroduction de ce délit a parfaitement rempli ses objectifs en matière
d’urbanisme. Les putes de rues ont été, comme plein d’autres populations
pauvres dérangeantes, virées de nombreux centre-ville par des flics trop
contents de pouvoir compter leur arrestation deux fois dans leurs quotas
(dans les rubriques " affaire ouverte " et " affaire résolue "). Trop
facile. Il en faut très peu pour
justifier une interpellation, une mise en garde àvue (GAV), etc. Dans le
cas des putes, le fait d’avoir plusieurs préservatifs sur soi (la base)
caractérise le racolage passif. Les personnes qui
bossent dans les bois [3] avec des camionnettes ont aussi été
concernées par cette intensification de la répression (procès
verbaux, garde àvues, perquiz’). Certaines des putes contraintes de
s’éloigner des villes pour se mettre àl’abri des flics ont été réduites à
payer des gros bras pour assurer leur sécurité. Ce n’était pas forcément
le cas pour celles qui avaient l’habitude de bosser àplusieurs ( "en
ville") en veillant les unes sur les
autres. La pénalisation des clients aurait des conséquences
similaires pour les putes.

La redéfinition et l’élargissement du délit de proxénétisme ont eu
aussi d’énormes répercussions sur les conditions de vie dans et hors
boulot. Sont considérés comme "proxénétisme" le fait de louer un
appartement ou une camionnette àune pute qui s’en sert pour les passes,
d’habiter sous le même toit sans pouvoir justifier de
ressources suffisantes ou recevoir des cadeaux payés avec l’argent des
passes (pour les enfants et les conjoint.es), de l’aider dans la
fabrication de son site web (en étant rémunéré ou pas). Ces
dispositifs fragilisent les putes sous prétexte de protection.
L’objectif de la révision de cette loi ne serait-elle pas, entre autres,
d’empêcher celles-ci de s’organiser entre elles et de gagner en
autonomie  ? Un des exemples les plus frappant est la possibilité de
poursuites légales contre des putes qui se feraient tourner des listes
noires de clients violents, violeurs, mauvais payeurs, au prétexte qu’il
s’agirait de "constitution de fichiers illégaux" et de " proxénétisme
d’entraide ".
Évidemment ceci est une vaste hypocrisie et un frein considérable à
l’autodéfense face àdes connards capables d’arnaquer plusieurs filles, de
leur faire des plans hallucinants et de s’en sortir toujours bien… Nous
sommes quelques-unes àvouloir mettre en œuvre nos propres modalités de
fonctionnement pour répondre ànos problèmes. Sans paternalisme de l’État
ni médiateurs qui parlent en notre nom pour, en fait, légitimer leur
position privilégiée. Nous sommes les mieux placées pour nous donner les
moyens matériels et humains nous permettant de poursuivre notre activité
dans les conditions qui conviennent – le mieux possible – àchacune. Nous
voulons lutter contre l’État et une de ses logiques  : gratifier celles et
ceux qui adoptent le " bon " comportement, le comportement raisonnable qui
répondrait àce qu’il définit comme bon pour nous, et réprimer tout ce qui
s’éloigne de ses critères.

A propos des maisons closes

Envers et contre toutes, les premières concernées sont souvent
farouchement opposées àces réouvertures. Certaines se souviennent des
cadences infernales pratiquées dans les anciennes "maisons
d’abattage" (cent clients par jour).

La situation des putes dans des pays frontaliers, comme la Suisse qui
a adopté une politique "réglementariste" concernant la prostitution, ne
fait pas plus envie. Les travailleuses du sexe "nationales" sont tenues
de bosser dans ces établissements. Elles louent leur chambre, selon deux
types de tarif  : soit un pourcentage de leur recette quotidienne, soit un
prix fixe àla journée. Elles récoltent au passage un patron àqui elles
louent cher leur espace de travail. Tout ça dans une ambiance hyper
concurrentielle et standardisée, avec une forte spécificité de chaque lieu
(services proposés) àlaquelle elles sont plus ou moins tenues de
s’adapter. Alors que la loi suisse permet de créer des lieux qui seraient
tenus par les putes elles-même, ils sont apparemment très peu nombreux,
voire inexistants.

Certaines d’entre nous ont testé les bars "àhôtesses" qui sont, eux
aussi, des espaces délimités et soumis aux contrôles tant vantés par Mme
Brunel. Les résultats ne sont pas probants. Un retour au salariat dont
nous cherchons ànous échapper  : présence d’un patron, mec souvent, qui
règne sur une équipe de filles, récupère un max de blé [4] quand il n’exige
pas un "droit de cuissage". Le seul argent qui va sans intermédiaire du
client àla fille est dans certains endroits afférent àce qui peut se
passer dans les "salons" [5]. Et encore, c’est souvent làque le gérant s’approprie la plus grande marge (encore plus importante que sur les verres vendus au bar), la convention tacite d’accès en "salon" étant l’achat d’une bouteille de champagne qui ouvre, selon le tarif, des durées "d’intimité" différentes. En théorie, les hôtesses seraient "libres" de choisir leurs horaires de travail, les clients avec qui elles vont passer du temps (ou pas), où (comptoir, salle, salon) et selon quelles modalités (tout ce qui concerne le contrat, implicite et explicite, ce qu’elles vont accepter ou pas d’un client, àquel moment, en public  ou dans le salon ). En pratique les codes de fonctionnement d’une partie des bars sont défavorables aux personnes qui arriveraient quand elles veulent, ce qui pousse les hôtesses àfaire le pied de grue pendant des heures au comptoir et tout ça sans savoir combien d’argent elles vont faire dans la soirée [6]. Comme une bonne partie du business repose sur l’attractivité des "belles de nuit" que les clients font picoler pour
tenter d’obtenir des "faveurs", ces dernières subissent la pression de
devoir revenir bosser régulièrement, accepter des
pratiques qui ne leur conviennent pas (par exemple, se laisser toucher
quand elles sont au bar, accepter un ou des salons – et dans les pauses,
ça cause de la manière de se vendre, avec tout ce que cela comporte de
relations de pouvoir entre filles et aussi de
conformisation àune certaine image de la femme qui marche, s’habille,
parle et boit d’une certaine manière…). Comme dans tout cadre salarié,
l’ambiance est souvent délétère entre des personnes qui ne se sont pas
choisies, qui changent régulièrement d’espace de boulot, qui n’ont pas
toujours les mêmes statuts dans le bar (certaines ayant des contrats
fixant les heures de boulot et d’autres étant occasionnelles), qui n’ont
pas les mêmes pratiques ni les mêmes envies et sont mises en concurrence par les clients, ces types qui n’attendent que la
confirmation de leur toute-puissance dans cet univers féminin. Enfin, si
l’usine est la taule, au bar on a affaire aussi àune
taulière/tenancière/patronne…

Et, comme dans de nombreux lieux de travail, des portes fermées àclé, des caméras… Tout cela sur fond de descentes fréquentes de flics qui viennent rappeler que cet espace, comme tous les autres, est "sous contrôle". Ces chiens en profitent pour tenir àjour leur fichier en prenant les identités des filles présentes. Et comme c’est une occasion pour eux de faire sentir  leur pouvoir, ils en profitent pour afficher leur plus grand
mépris, avec moult sarcasmes auprès des putes auxquelles il faut rappeler qu’elles sont tout en bas de l’échelle sociale. (Quand ils ne violent pas les tapins au passage.) Volonté de fichage également présente, très visiblement, lors des assises de la prostitution 2010 àParis, ou une petite dizaine de civils attendaient les personnes àla sortie, histoire de bien repérer, noter les tronches, compléter leur vision d’un " qui fait quoi " général.

Le côté pute de la politique institutionnelle
ou  : C’est pas parce qu’on est putes qu’on est forcément subversives…

«  Nous n’avons pas de leçons de féminisme àrecevoir de celles qui
veulent notre disparition parce que nous défendons un aspect de la
féminité qui ne leur convient pas. Le féminisme pute, c’est refuser de
restreindre la libre disposition du corps au droit àl’avortement. Le
féminisme pute, c’est sortir de la nostalgie des années 1970 pour
retrouver des utopies de révolution, de transformation radicale de la
société, de suppression du patriarcat. Le féminisme pute, c’est refuser de
sacraliser le sexe. 
 Â »

Face àl’explosion médiatique de ces dernières semaines, où journaux et
associations abolitionnistes s’en donnent àcœur joie, le STRASS (Syndicat
du TRAvail Sexuel) a publié un communiqué, le 2 avril 2010, pour dénoncer
tout àla fois la volonté de contrôle "médical, fiscal et migratoire" de
l’UMP et exiger une rencontre avec les parlementaires  : "Ils devraient
savoir que [...] nous sommes souvent les meilleures actrices de prévention
et les mieux placées pour lutter contre la traite des êtres humains". Le
syndicat n’a de cesse, depuis sa création, il y a un an, de se positionner
comme interlocuteur privilégié de l’État. Et de réclamer, pour les
travailleuses du sexe, un statut de citoyennes "àpart entière" sur le
fondement qu’elles cotiseraient auprès de l’Urssaf et pourraient accéder
aux mêmes droits sociaux que les autres. Rien de bien étonnant de la part
d’une instance qui s’est posée dès sa fondation comme un "syndicat" de
"travailleurs". Nous ne sommes pas naïves au point de penser que le gain
de minima sociaux dont parle le STRASS concernerait tout le monde et ne se ferait pas en contrepartie d’une augmentation du contrôle de l’état. Le
fait de demander des droits sociaux ne concernerait qu’une petite partie
des travailleuses. Et pour les personnes sans papiers, si on suit la
logique du STRASS, il faudrait ensuite demander une régularisation par le
travail, ce qui a comme un air de déjàvu… On voit, depuis quelques
années, des grèves de travaillereuses sans papiers très encadrées par les
syndicats et qui n’aboutissent àrien, malgré des mois et des mois de
"lutte". Et quand les personnes obtiennent finalement des cartes de
travail, ce sont des cartes très précaires, de courte durée et dont le
renouvellement se fait àla demande du patron, ce qui muselle de fait
toute possibilité de révolte. D’autre part, ces luttes ne sont pas souvent
autonomes, au sens où ce sont les syndicats qui en définissent les
modalités et prennent tout l’espace en étant considérés, dès le début,
comme seuls interlocuteurs "légitimes" par l’État. On tourne en rond,
l’État légitime des partenaires sociaux qui le lui rendent bien et
n’existent que grâce àlui. La boucle est bouclée.

Faire le bordel

Cette situation me semble intéressante avec la cristallisation de
plusieurs éléments en tension. Même si la prostitution ne se situe pas
hors du champ de vision de l’État (identification des putes, contrôles
fiscaux), il y a pour l’instant plus de marge de manœuvre ici que dans un
tas d’autres endroits. Il y a quelque chose de subversif dans l’existence
d’individus se revendiquant en tant que putes (qu’on se présente ou non
comme féministe), ayant le culot de fonctionner sans mac, voire de
s’organiser entre elles et de rejeter le salariat et le monde qui va avec
(être escort pour se faire 200 euros de l’heure, travailler le moins
possible et avoir la paix après). L’existence de personnes portant ce
discours est d’ailleurs absente ou niée par les politiques et les
associations abolitionnistes dont une partie se disent "féministes",
mais ne voient, dans les personnes prostituées, que des victimes qu’il
faut "ré-insérer", sortir de la prostitution et ce d’autant plus s’il
s’agit de personnes d’origine étrangère ou étrangères sans papiers qui
seraient toutes des victimes passives… "La question du volontariat n’est
pas pertinente", ose déclarer Malka Markovich, directrice pour l’Europe
de la coalition contre la traite des femmes "car ce qui amène les
prostituées àaccepter des relations sexuelles sans désir ni plaisir,
c’est une cascade de difficulté familiales  ; affectives ou économiques".
Sans commentaire.

Laisser l’État ré-ouvrir des maisons closes, sorte d’injonction
paradoxale, présenterait le triple avantage de continuer ànettoyer les
rues de leurs marcheuses, filles de joie, fleurs du
bitume,traditionnelles, courtisanes… bref de leurs putes, dont le
voisinage incommode grandement les riverain.es, de récupérer de la thune
sur leur activité et de ramener les indépendantes dans le droit chemin du
salariat. Le fait que cela permettrait de lutter efficacement contre la
traite des femmes  s’avère nul et non avenu, puisque les femmes,
éventuellement étrangères, éventuellement en situation irrégulières et
éventuellement aux prises avec des réseaux de trafiquants, ne possèdent
pas les permis de travail qui leur permettraient de travailler de façon
déclarée dans ces établissements, pas plus que dans d’autres entreprises.
Les personnes qui refusent de s’inscrire dans ces établissements et
rejettent ainsi cette logique de contrôle, de nettoyage et d’aseptisation
des villes seraient contraintes àdavantage de "discrétion".

Ce qui se joue ici, c’est la ré-appropriation de nos conditions
d’existence de façon générale. Je ne me sens pas plus de complicité avec
une pute qu’avec n’importe qui d’autre qui aurait choisit un taf pour
pouvoir jouer le jeu de la consommation et capitaliser individuellement de
la thune. Par contre, ce moyen d’acquérir pas mal d’argent, de façon
invisible aux yeux de l’État, en fait une piste de débrouille
intéressante, une ressource pour organiser un peu plus nos vies comme nous
le désirons. Nous pourrions ainsi nous entraîner de façon collective à
réduire nos besoins d’argent afin que, lorsque la question de la thune
apparaît, ce ne soit plus une question individuelle. Nous pourrions nous
demander àquoi ressemblerait une entraide pour permettre àcertaines
d’entre nous de faire des pauses, de rattraper le coup quand l’une d’entre
nous n’a pas fait la thune dont elle avait besoin pour payer des factures…
Et si nous n’avons pas, dans l’immédiat, la quantité d’argent nécessaire
pour éviter aux anciennes les passes de dix euros (ou moins), nous
pourrions ouvrir plus de cantines, de lieux accessibles pour manger,
rencontrer des personnes, etc.

Puisque nous ne reconnaissons ni leur police, ni leur justice et que nous
ne voulons rien attendre de l’État, puisque nous voulons lier la critique
de l’enfermement et l’anti-autoritarisme sans rester passives face aux
agressions, il est important de choisir des conditions de boulot qui
laissent peu de prises pour nous agresser. Une des façons les plus
efficaces de nous protéger reste de bosser àplusieurs. Et pourquoi pas
louer des lieux pour ça, sans patrons et entre copines, sans devenir
travailleuses pour autant, en se gardant la possibilité d’arrêter, de
faire autant de pauses que l’on veut. Sur des bases claires. Sans rien
lâcher de nos convictions politiques.

Mener le bal.

Quelques ingérables

A propos de la réouverture des maisons closes

[1Proxénétisme  : " Le fait, par quiconque, de quelque manière que ce
soit d’aider, d’assister, de tirer profit ou de protéger la prostitution
d’autrui [...] De vendre, de louer ou de tenir àla disposition des
locaux, ou tout autre espace tels que des véhicules, de quelque manière
que ce soit, àune ou plusieurs personnes, en sachant qu’elles s’y
livreront àla prostitution. "

[2Racolage passif  : " Le fait, par tout moyen, y compris par une
attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en
vue de l’inciter àdes relations sexuelles en échange d’une rémunération
ou d’une promesse de rémunération est puni de six mois d’emprisonnement et
de 3 750€ d’amende. "

[3Une travailleuse en camion expliquait récemment qu’un flic était passé
àla fin de plusieurs nuit. S’en était suivi des fouilles du camion et le
racket de sa thune de la nuit. Elle avait fini par se rebeller àsa venue…
et en plus de pécho son fric il lui avait alors pété deux côtes…

[4Le
fonctionnement du bar àhôtesse (lambda) est le suivant  : quand le client
arrive, les filles viennent àtour de rôle lui demander/proposer de
s’asseoir avec lui, jusqu’àce qu’il accepte éventuellement… Il est censé,
selon les établissements, payer des verres àla fille qui l’accompagne
régulièrement. S’il « â€…oublie  » la fille peut lui rappeler, se barrer ou
des fois le/la barmaid lui rappelle élégamment les règles. La fille gagne
(ça dépend des établissements, bien sà»r) àpeu près la moitié de la thune
que le client paye pour ses verres àelle, et le patron récupère donc
l’autre moitié, mais aussi l’intégralité de l’argent que le client met
pour ses propres verres.

[5« â€…Faire un salon  » avec un client c’est se retrouver avec lui dans un espace « â€…plus intime  » qui n’est pas censé être un espace de prostitution (aux yeux de la loi).

[6Dans certains établissements, un salaire de base qui prend en compte le nombre d’heures de présence de la personne est versé. Ce n’est pas le cas partout.