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Un criminel de Belleville

Par Jules Vallès (18 mars 1871)

samedi 25 novembre 2017

Revenons un peu en arrière.

Le 31 octobre est jugé.

Un tribunal de soldats a acquitté tous ceux qui, au nom du traité conclu dans cette nuit au dénouement sinistre, n’auraient jamais dà» être arrêtés ni poursuivis.

L’épée des juges des conseils de guerre a souffleté les parjures de l’Hôtel de ville et elle les cloue, lâches et vils, au pilori de l’histoire.

Il n’y a eu, en dehors des contumaces toujours condamnés, que deux accusés frappés, Goupil et moi ; nous le sommes pour des faits que ne pouvait couvrir la convention. [Les quatre phrases, depuis « Le 31 octobre  » jusqu’ici, ont été reprises dans le chapitre XXIII de L’Insurgé. Edmond Goupil, un médecin, sera élu àla Commune par le sixième arrondissement et en démissionnera le 7 avril.]

Je suis heureux de mon malheur, parce qu’il sert àla honte de l’Hôtel de ville et àla glorification des insurgés.

Merci, au nom de mes amis.

C’est comme homme de la Villette et de Belleville que j’ai été condamné.

Merci encore !

Nous nous trouvâmes quatre mécréants sur la place publique, le 6 septembre : Oudet, Ranvier, Mallet et moi, tous les quatre des assommés, des bâillonnés et des affamés de l’empire.

Il pleuvait ; la pluie refroidissait déjàles larmes dans les yeux des républicains levés vers l’horizon. Nous avions de la mélancolie plein le cÅ“ur, et il y avait des brouillards plein le ciel. On regrettait presque la mansarde tranquille de l’exil, la cellule pavée de briques rouges, le bureau pauvre du journal toujours menacé, mais toujours menaçant, en face de cet Hôtel de ville muet et triste, d’où ne s’échappaient pas les cris qui soulèvent les peuples et hurlent la victoire.

Au nom de la patrie en danger, pas un coup de tambour et pas une sonnerie de clairon !

La place était pleine de monde, mais elle était aussi silencieuse et morne ; quelques isolés seulement criaient : « Mort àl’ennemi !  »

Nous nous éloignâmes désespérés et l’on remonta vers Belleville.

Là, peut-être, sur cette terre classique de la révolte, dans ce pays du travail pénible, on était prêt àla bataille et l’on voulait mourir pour la patrie. Il fallait tâter le pouls des plébéiens.

On courut àtravers les rues, cherchant une salle où convoquer le peuple ; il n’y avait pas d’argent pour payer le loyer d’un soir, ni pour mettre de l’huile dans les lampes.

On s’empara d’un café, je crois, en promettant au patron de lui donner comme recette les sous qui tomberaient dans une corbeille ; il prêta sa salle, fournit le gaz. [Et même un broc et un veau braisé, si l’on croit L’Insurgé, chapitre XIX.]

Nous allâmes àla plus prochaine caserne, et l’on ramena un clairon.

— Monte sur cette chaise, dit Oudet, et sonne pour la Révolution !

Il sonna, et le peuple de Belleville fut prévenu que l’on parlerait, ce soir-là, aux Folies-Desnoyers, de la République et de la guerre.

On en parla.

Je sortis de ce club, frémissant d’émotion et d’espoir.

Tandis que nous étions àla tribune, un coup de feu avait été tiré, et soudain des armes étaient sorties de toutes les poches. On croyait àune attaque des soudards de l’empire non désarmés, et l’on allait crânement engager la bataille, àcoups de pistolet ou de couteau. Les armes disparurent sur un signe, dès qu’il fut entendu qu’il n’y avait pas àse battre.

Cet enthousiasme, ce courage, ce calme, tout cela frappait ma raison et mon cœur. Je résolus de vivre au milieu de ce peuple et de choisir ce coin noir pour patrie.

J’ai vécu làdeux mois moins six jours ; — on me fait payer par six mois de prison ce temps d’émotions généreuses et honnêtes. C’est injuste, mais ce n’est pas cher.

J’ai pu voir de près cette population vaillante au moment du tumulte, et je suis autorisé pour la défendre.

Eh bien ! pendant ces jours où la baïonnette était reine, y a-t-il eu jamais attentat contre un homme, coup de pillage contre une maison !

Non, ce faubourg calomnié a gardé tout le temps une calme et superbe attitude ; sa torche a brillé, claire et vive comme une étoile.

Les factieux ont été ceux qui devaient faire l’ordre, panser les plaies, élever l’âme et soutenir le courage de cette foule, tout d’un coup livrée àla famine et promise par la guerre àla mort.

Il y a eu, sur ces hauteurs de Belleville et de la Villette, des hommes dont la sottise et la cruauté ont été pour les pauvres une perpétuelle injure et un éternel danger.

Ce sont les révolutionnaires qui conjurèrent la tempête.

Que de fois, j’ai dà» empêcher des compagnies en armes, des femmes en fureur, des pauvres en délire, d’aller cerner cette mairie, d’où est partie la dénonciation qui va pendant six mois m’obliger àvivre proscrit ou prisonnier !

J’en appelle àtous, àceux même qui auraient tourné leurs fusils contre nous, un jour de bataille sociale, comme àceux qui nous auraient fait l’honneur de combattre avec nous, la révolution a-t-elle, dans ces quartiers maudits, commis un crime, une faute, moins que cela, une brutalité ? Citoyens du 191e, hommes d’honneur, j’en appelle àvous ! j’en appelle àvous tous, soldats des bataillons bourgeois ou plébéiens !

Il faut que Paris le sache et que la France tout entière le sache aussi ! Ce Belleville désigné àtoutes les colères, àtoutes les haines, et qu’on ferait volontiers échancrer même par le canon prussien, c’est un pays où l’on aime àsentir près de soi son fusil, mais c’est un pays honnête, où l’on travaille dur quand il y a de l’ouvrage, et qui ne se fâche justement que quand la besogne manque ou que le déshonneur déborde !

J’ai six mois de prison pour avoir dans ce pays-là, la nuit du 31 octobre, proclamé la Commune et avoir maintenu l’ordre autour de ce drapeau de la révolution. Le jugement ajoute que j’ai séquestré un maire ! Si je ne l’avais pas séquestré, il pouvait passer un quart d’heure qui lui aurait paru plus long que mes six mois. [Le récit de la séquestration du maire Richard du dix-neuvième arrondissement dans son armoire est un des passages les plus réussis, àmon goà»t, de L’Insurgé. Il y a aussi l’histoire du sergent qui, le 11 mars, se fatigue, pendant un quart d’heure, àfaire comprendre àVallès qu’il doit « foutre le camp  ». Ce qui explique pourquoi Vallès n’est pas en prison, mais bien chez son ami Bauer.]

Va pour six mois ! — Ils me laisseront àParis, je pense, et je pourrai de mes fenêtres voir la sentinelle qui veille autour des canons, là-haut au sommet du faubourg.

[/ Jules Vallès.
In Drapeau (numéro unique), 18 mars 1871. /]