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[Opération Ardire] Une lettre de Giulia depuis la prison de Rebibbia

mercredi 16 janvier 2013

Il y a des moments où arrive le soleil, il traverse les barreaux, filtre àtravers la vitre, traverse la bouteille qui est sur la table, il s’étale en bandes sur la table, il te réchauffe un peu l’oreille.

Il y a des moments où, la nuit, tu regardes la lucarne, écoutes le silence, entends le bruit du vide dans le couloir, écoutes le sifflement d’une porte fermée.

Il y a des moments où tu t’assois pour fumer une cigarette en plein air et tu regardes le ciel et tu penses que si tu croyais en Dieu tu le remercierais de pouvoir jouir de tant de beauté, même d’ici.

Il y a des moments où tu marches dans les couloirs et tu penses qu’ils ne sortiront jamais de tes poumons.

Il y a des moments, tant de moments, où ton corps est ferme et ton esprit t’imagine en train de détruire tout ce qui te tombe sous la main.

Il y a des moments où tu donnerais de l’or pour une belle bière fraîche.

Il y a des moments où te parvient, sans bien savoir d’où, une odeur de terre, de feuilles, d’automne et tu te souviens.

Il y a des moments où le soleil d’un ciel d’automne te fait repenser aux montagnes et au souffle de tes chiens.

Il y a des moments où finalement tous les mots vides disparaissent, tous les masques tombent.

Il y a des moments où tombent tous ceux des autres sans que ceux-làle sachent.

Il y a des moments où tu te rends compte que ce lieu t’a changé et d’autres où tu penses être restée la même ; et tu te découvres et te redécouvres.

Il y a des moments où tu reconnais l’heure du jour avec le bruit que tu entends depuis les couloirs et tu te rends compte que cela devient normal.

Il y a des moments où, la nuit, tu te réveilles en sursaut parce qu’une lumière espionne ton sommeil.

Il y a des moments où tu vois une mère pleurer parce qu’elle ne peut plus faire la chose la plus naturelle sur cette terre : être avec ses fils.

Il y a des moments où tu pleures pour les pleurs de cette mère, pour les étreintes refusées, pour les rapports mutilés, parce que tu penses que personne ne paiera jamais pour tant de douleur.

Il y a des moments où tu penses que tu pourrais regarder pendant des heures le visage des copines qui sont comme toi, parce que tu sais que c’est uniquement pour ces yeux que tu n’as jamais eu peur de cet enfer.

Il y a des moments où tu penses àla douleur de ceux qui viennent te voir ; àleurs visages qui, chaque fois qu’ils s’en vont, effrayés, disent : « Â nous l’abandonnons ici  ».

Il y a des moments où le sang se glace àl’idée de la liberté parce que tu penses que tu ne pourras pas emmener tes copines avec toi.

Il a des moments, tant de moments, où un éclat de rire éclate comme un tonnerre, comme une cascade depuis une falaise, et se déverse, fraîche, sur la peau, sur le visage, sur la tête.

Il y a des moments où tu vois se former le sourire sur le visage d’une copine et tu penses ne rien vouloir d’autre de la journée.

Il y a des moments où te parvient la nouvelle que quelqu’un est sorti ou évadé, alors les barreaux se fêlent et le sourire se fait railleur.

Il y a des moments, tant de moments, constants, répétés, où tu penses àun tas de ruines, àdes clés brisées, àdes uniformes brà»lés et tu sens la fraîcheur des pieds nus sur l’herbe et la respiration est profonde.

Giulia Marziale
CC Rebibbia Femminile
Via Bartolo Longo 92
00156 Roma ITALIA

Traduit par nos soins de l’italien depuis Informa-azione.