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Mexique : texte du compagnon Carlos López « Chivo  » : Ce qui stagne, pourrit
mardi 9 septembre 2014
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Pour qui a décidé de passer de la parole à l’agir insurrectionnel et de le porter dans tous les aspects de la vie où c’est nécessaire, il est essentiel d’entrer dans des réflexions permanentes et de reconsidérer sans cesse pensées, instruments et stratégies de lutte. Cela afin de de ne pas tomber dans des dynamiques de passivité, qui se révèlent stériles et contre-productives à l’heure d’attaquer.
D’où la nécessité que nous ressentons de reprendre des sujets importants qu’il nous faut toujours remettre en débat et en discussion si nous ne les considérons pas comme quelque chose de figé.
C’est ainsi qu’à titre personnel, modestement et brièvement, je me donne pour tâche de reposer ce que j’entends par informalité et par anarchisme insurrectionnaliste, dans l’intention que cela puisse être approfondi, débattu et qu’y contribuent celles et ceux qui peuvent se sentir concerné-es, de là où ils sont. Et adresser au passage une petite critique aux courants anarchistes qui se sont acharnés à nous traiter comme « des pyromanes sans idées  ».
Dans le monde entier, des compagnon-nes anarchistes continuent à générer des conflits et des tensions contre l’appareil complexe de domination. Cela remplit d’inspiration celles et ceux qui, comme nous, partagent ces luttes et cherchent ainsi à étendre et à généraliser le conflit par l’attaque décidée et destructrice. L’effort des compagnon-nes qui décident d’impulser leurs projets basés sur la cohérence entre la théorie et la pratique, entre la pratique et la théorie (en ce qu’elles se complètent l’une l’autre) doit être pris en compte, et plutôt que d’être livré à l’oubli, doit être soumis au débat et à la discussion de manière critique-constructive, en cherchant à apprendre des erreurs et des bonnes idées, pour ensuite revenir sur le champ de bataille : la guerre sociale.
Il est clair ainsi que l’affrontement avec tout Pouvoir et toute autorité n’est pas une idée de fous et de barrés, mais une manière réelle et palpable de chercher sur un mode incisif notre liberté totale et définitive.
Nous voulons dire que l’Anarchie n’est pas pour nous une idéologie (une lutte reposant sur des idées fixes qui nous dictent comment agir), mais une manière de concevoir la vie et de la vivre conformément à nos idées, nos analyses et les critiques. Celles-ci surgissent de la réflexion dans les luttes, reflétant notre réalité, toujours en quête de nouvelles méthodes, stratégies et formes d’attaques ; voilà pourquoi nous nous disons anarchistes insurrectionalistes et nous nous organisons dans une logique informelle.
Nous entendons l’insurrectionalisme comme un agir qui part de l’individualité, comme la rupture que chacun-e porte en soi, tout en transformant son environnement, en commençant par la cellule familiale, sociale et politique qui nous maintient souvent dans cette prison/société de laquelle il n’est pas si facile de sortir. C’est ainsi que nous passons au conflit. Ce qui caractérise la lutte insurecctionnaliste, c’est précisément le fait de la mener au delà de l’illusion et de la parole, de prendre l’initiative dans le conflit de classes et de rompre avec l’attitude passive de résistance pour passer à l’attaque, sans se limiter à attendre d’être réprimé-es pour qu’attaquer soit justifié, mais en le faisant déjà , ici et maintenant. Le conflit permanent, nous le portons dans notre quotidien, dans nos têtes et dans nos cÅ“urs, en cherchant toujours à le généraliser aux quartiers, aux faubourgs, aux villages et au-delà ; pour arriver à nous organiser -dans des noyaux de base- avec des personnes qui, sans être anarchistes livrent de grosses batailles, par exemple pour freiner des projets gouvernementaux mettant en danger leur bien-être ou leur vie. Il est important de ne pas situer la lutte insurrectionnaliste dans la structure minimale d’ « organisation spécifique  » car, comme je l’ai expliqué auparavant, elle ne peut être réduite à la clandestinité.
Certes, cette lutte n’est pas inédite et elle est allée en se renouvelant. Nous pourrions citer d’anciennes luttes de paysans et d’indigènes qui se sont soulevés avec dignité contre les latifundistes et les grands propriétaires terriens. Mais c’était dans autre contexte historique, et je les vois plus comme des points de référence de luttes passées que comme des méthodes à suivre.
Il est nécessaire de ne plus se contenter de rappeler des combats passés en oubliant que c’est ici et maintenant que nous devons les mener.
Je conçois l’informalité de la forme organisative de l’anarchisme insurrectionnaliste comme la relation plus ou moins stable de personnes, groupes ou mouvements qui maintiennent un rapprochement constant, cherchant à approfondir la connaissance acquise dans les luttes, sans structures bureaucratiques ni délégation des responsabilités et en refusant tous les organigrammes possibles pouvant donner lieu à des rapports de Pouvoir. Disons que c’est là qu’intervient ce dont nous parlons tant et que nous défendons, les « insus  », à savoir le fait de repenser et de réajuster les manières et les méthodes employées pour mener l’attaque destructrice sur le champ de bataille.
L’informalité n’est pas statique, mais en constante évolution (n’oublions jamais que « ce qui stagne, pourrit  »), sinon elle ne serait pas informelle.
Les groupes d’affinités inspirés de cette forme organisative sont en général petits et liés par une connaissance mutuelle. Pour créer de l’affinité, il est aussi important d’étudier et de critiquer les problématiques sociales, et pas seulement les luttes partielles, tout comme d’avoir et d’approfondir le plus possible les discussions pour comprendre à la racine ce à quoi nous nous confrontons. Surtout, c’est le fait d’avoir le même sens destructif de tout l’existant qui nous fait nous sentir en affinité. Et ainsi arriver à la complicité. L’amitié n’est pas la même chose que l’affinité, elles peuvent aller de pair ou pas, on peut être en affinité sans amitié et vice-versa. Ainsi, ces groupes se fortifient et savent sur qui compter au moment de passer à la pratique. Ces petits groupes sont destinés à disparaître une fois réalisé l’objectif pour lequel ils ont été créés, alors même que d’autres surgissent de nouveau, car pour reprendre ce qui a été dit auparavant : « ce qui stagne, pourrit  ».
L’association de divers groupes d’affinité fait aussi partie de cette forme organisative informelle.
Voilà donc, cette légère contribution, dans l’idée, comme je l’ai déjà dit, qu’elle s’approfondisse.
Je voudrais maintenant faire une petite critique aux groupes, plateformes ou fédérations, ainsi qu’à quelques compagnon-nes « insus  » sur des manières d’agir que je considère mériter de l’attention et que je ne partage pas. Si l’anarchisme est antagoniste à toute forme de structure et de rapports de Pouvoir -ce que nous appelons communément « système de domination  »-, il existe aussi à l’intérieur du mouvement divers courants qui, avec une langue de vipère, portent le discrédit sur l’agir de celles et ceux qui vont au-delà de la simple parole et décident de sortir de la passivité routinière qui ne mène qu’à elle-même. Des courants qui s’auto-exaltent en « prônant  » comment les choses devraient être ou ne pas être, tels de grands théoriciens de comptoir, sans plus. Il y a quelque temps déjà que j’éprouve une certaine réticence à accepter des doctrines anarchistes où l’on parle passionnément de « chercher  » à s’émanciper de tout assujettissement, à créer des relations de fraternité et d’amour horizontales entre égaux, en partant d’un idéalisme chrétien qui prêche le mot d’ordre « éradiquer la méchanceté du monde  », mais ... sans jamais rien faire d’autre que de se réunir pour parler, parler et continuer à idéaliser leur perspective d’une vie en liberté !! Ce faisant, ils oublient ou laissent de côté le fait que cette vie se trouve aux mains d’un ennemi puissant qu’il est nécessaire d’attaquer de manière permanente et destructrice.
En soi, les idées-théories rageuses et ingénieuses ne servent pas à grand chose. Je considère la propagande et la contre-information comme importantes, mais pas quand on ne les utilise que pour bouger les masses ; surtout si ce « bouger  » porte implicitement l’attente du « moment idéal  » pour lancer l’offensive, comme on attendrait le messie en se dédiant au prosélytisme pour faire grossir ses rangs, en tombant dans des positions quantitatives.
N’étant pas d’accord avec celles et ceux qui décident de mettre en pratique l’attaque directe, sans attendre de médiation de l’Etat ou du Capital, ils décident donc, non solidaires, de passer sous silence leurs luttes et leurs conséquences, faisant « comme s’il ne se passait rien  » et poursuivant leurs sermons et leurs endoctrinements populeux - comme pour attirer des moutons à leurs troupeaux.
Je pense que les marches, les meetings, les rassemblements et les discussions sur l’anarchisme, de même que les congrès, grands et pompeux récitals de la liberté -seuls- n’impressionneront pas et détruiront encore moins l’ennemi qu’ils prétendent combattre.
Je termine cet écrit, qui n’est certes qu’une foule de choses qui ont déjà été dites, mais que j’ai aussi réfléchies et vécues de près, disponible pour la critique et la mise en discussion de qui le pensera opportun.
Pour finir, je ne veux pas laisser passer l’occasion d’envoyer une accolade chaleureuse et fraternelle et toute ma solidarité aux compagnon-nes : Nikos Maziotis en prison en Grèce et Pola Roupa en cavale ; Mónica Caballero et Francisco Solar en Espagne ; Felicity Ryder en cavale ; Fredy, Juan et Marcelo au Chili ; beaucoup de force à la compagnonne Tamara Sol ; à Mario « Tripa  » en cavale ; à Gianluca Lacovaca et Adriano Antonacci en Italie ; à Gabriel Pombo Da Silva et au Mexique à Mario González, Abraham, Fernando, Fallon et Amélie.
A elles et eux tou-tes, ainsi qu’à toutes celles et ceux dont je n’ai pas connaissance, mon amour, ma rage et ma solidarité.
Irréductibles et réfractaires pour toujours, parce que la lutte n’est pas destinée à obtenir des privilèges ni un avenir confortable, mais que c’est une condition en acte qui cherche à détruire toute forme de domination, afin que nous puissions ainsi resurgir des décombres et enfin être libres.
Carlos López « Chivo  »
Reclusio Oriente, Mexico
[Traduit de l’espagnol de Abajo los muros par Brèves du désordre.]
Plus d’information à propos des anarchistes arrêtés à Mexico le 5 janvier 2014 ici :
Solidarité avec Amélie, Carlos et Fallon