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La prison de La Santé vidée... pour mieux enfermer [mise àjour]

mercredi 6 janvier 2016

La prison de la Santé vient d’être vidée de ses 920 prisonniers... une bonne nouvelle ? Pour sà»r non, car les détenus, ils ne les ont bien sà»r pas libérés, mais transférés dans d’autres maisons d’arrêt, principalement Fresnes (94) et Fleury-Mérogis (91), d’autres dans le tout nouveau centre pénitentiaire d’Orléans-Saran par exemple, bien souvent plus loin de leurs proches.

Mais les gestionnaires du monde carcéral comptent remplir de nouveau cette dernière taule parisienne après une réhabilitation de ses bâtiments : les architectes parlent de « rupture avec l’aspect actuel très oppressant  »... comme si des murs plus nets et moins humides pourraient faire que les prisonniers se sentent « moins enfermés  » ?! Il est sà»r que des murs plus que pourris, des douches cassées, le froid et autres joyeusetés des vieilles prisons ne font que rajouter àl’humiliation mise en place pour mater les personnes enfermées et les faire revenir plus docilement dans ce qu’ils définissent comme le droit chemin. Mais n’allez pas croire que les constructeurs et rénovateurs de prisons ont pour but le confort des prisonniers... sinon pourquoi enfermer ainsi des individus comme on enferme tout aussi sournoisement les animaux d’élevage ? Il est clair que le but du système carcéral n’est pas d’enfermer pour enfermer, pour éloigner plus ou moins momentanément certaines personnes du reste de la société : cet enfermement a pour but de remodeler (ou juste venir àbout de) la personnalité des détenus, de les dompter, les « convaincre  » par l’humiliation et la peur de se soumettre aux règles de l’ordre social, comme le montre bien l’attention toujours croissante àla « réinsertion  » : car évidemment, ce que veulent juges et politiciens, ce n’est pas libérer des « fauves  » aigris et hargneux décidés àvenger leur souffrance, mais des moutons résignés et obéissants, àqui on a appris que la vie c’était celle qu’on « gagne  » au turbin, métro-boulot-dodo.

C’est donc pour rendre les prisons àla fois plus acceptables aux yeux de tous, principalement des défenseurs des « droits de l’homme  » (comme si l’enfermement dans une cage dorée permettait de conserver toute sa dignité !), mais aussi plus efficaces pour façonner des moutons et non des fauves, que l’on rénove les prisons, certainement pas pour le bien des prisonniers.

Le projet de réhabilitation de la Santé compte parmi ses maîtres-mots l’« amélioration des conditions de travail pour le personnel pénitentiaire  » : sachant que plus de sécurité pour les matons, ça veut dire, pour eux, plus de tours de clé, plus de surveillance, donc encore plus de restrictions pour les encagés. Car comme pour tous les défenseurs de ce monde de merde, leur sécurité, c’est notre plaie.

En bref, les travaux dureront normalement jusqu’en 2018. D’ici-là, seul le centre de semi-liberté (entre taf et taule, toujours enfermés) comprenant une centaine de places et déjàrécemment rénové restera « ouvert  ». La gestion du projet en Partenariat Public-Privé et la recherche d’entreprises prêtes àmener les travaux a été àla charge de l’APIJ (Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice). Et les détails des travaux n’ont pas encore été dévoilés, on a seulement pu entendre parler d’une capacité finale de 800 places (dont 100 en semi-liberté) avec davantage de cellules individuelles, et plus globalement d’une « modernisation des conditions de détention  » et du « développement de dispositifs de réinsertion active des détenus  ». Quant aux entreprises du bâtiment, architectes et banques collabos de ce projet, leurs noms ont été rendus publics par l’APIJ [voir encadré].

Et pour couronner le tout, les rénovateurs devront veiller àpréserver « la symbolique particulière et la valeur patrimoniale de cet établissement  »... la symbolique d’une prison... d’autant plus d’une vieille prison, que l’on se souvienne àquel point est tenace cette obsession d’enfermer les récalcitrants... pour nous rappeler qu’il est toujours plus que temps d’en finir avec cette torture ?

Entreprises de construction ou de rénovation, tous ceux qui travaillent àla machine àenfermer sont complices du système carcéral, ne les laissons pas en paix !

Tout le monde dehors !

Constructeurs (et mandataires) :
GTM Bâtiment, du groupe Vinci, des constructeurs de taules chevronnés (CP de Draguignan, rénovation des Baumettes àMarseille, CP de la Polynésie, àTahiti, CRA du Mesnil-Amelot)

(Futurs) gérants :
Gepsa (du groupe GdF-Suez ; cf. Lucioles n° 9)

Architectes :

PIERRE VURPAS & ASSOCIÉS ARCHITECTES
29-31 rue Saint Georges 6
9005 Lyon
Tél. 04 72 40 95 55
agence@vurpas-architectes.com
vurpas-architectes.com

Ils ont aussi dessiné le Palais de Justice de Lons-les-Saunier, les EPM (prisons pour mineurs) de Quiévrechain, Meyzieu et Chauconin.

A.I.A. Architectes
23, Rue de Cronstadt, 75015 Paris
Tél : 01 53 68 93 00
(et autres adresses un peu partout en France)
a-i-a.fr

Banque de financement :

Barclays Bank, qui finance aussi la construction (toujours en PPP) des prison de Beauvais, Valence (Drôme), Lutterbach (Haut-Rhin) et Riom (Puy-de-Dôme) [cf. Lucioles n° 9]

[Extrait de Lucioles n°18, bulletin anarchiste de Paris et sa région, aoà»t 2014.]


Mise àjour, depuis Brèves du désordre :

* Résultat de l’appel d’offre (TED, 16/12/2014) : Réhabilitation-reconstruction de la maison d’arrêt de Paris La Santé réalisée sous la forme d’un partenariat public-privé (PPP) signé le 13 novembre 2014 avec le consortium Quartier Santé. Le contrat de partenariat est entré en vigueur au jour de sa notification, soit le 13.11.2014, et prend fin 25 ans après la date de prise de possession par la personne publique de l’ouvrage. Ce contrat comprend le financement, la réhabilitation-reconstruction, l’exploitation-maintenance et la fourniture de prestations de services associées (Restauration des détenus, hôtellerie (fourniture et entretien du linge et des effets vestimentaires), cantine (vente de produits et services aux détenus), transport (transport des détenus et mise àdisposition de véhicules administratifs), travail pénitentiaire, accueil des familles). Le travaux comprennent :
• la partie administrative (côté rue de la Santé) ;
• le quartier bas (partie rénovée en forme de panoptique, avec cellules individuelles qui passent de 7 à... 9m²) ;
• le quartier haut (partie neuve) ;
• le quartier de semi-liberté (côté rue Messier)

* Nombre de places après réhabilitation-reconstruction : 700 places en maison d’arrêt, 100 en quartier de semi-liberté.

* Durée des travaux : fin 2015-2018. La première grue a été montée du 2 au 4 décembre 2015.

* Mandataire du ministère de la Justice : Agence publique pour l’immobilier de la Justice (APIJ), soit notamment Marie-Luce Bousseton (directrice générale), Aurélien Defiguier (directeur adjoint), Nicolas Fournel et Aurore Fargette (chargés du programme de La Santé), Marion Moraes (mission communication), Jérémy De Conti (chargé du suivi avec les riverains)

* Construction  : consortium Quartier Santé, 83-85 rue Henry Barbusse - Nanterre (92) avec Môssieur Xavier Duplantier pour Président, placé àce titre en tant que directeur actuel d’ ADIM Concepts, la filiale de Vinci construction créée en 2013 et dédiée aux Partenariats Publics-Privés.
Le groupement Quartier Santé regroupe GTM Bâtiment et Lainé Delau, filiales du groupe de BTP Vinci, Gepsa, filiale de l’énergéticien GDF Suez, et Barclays Alma Mater General Partner Ltd. (BAM) , filiale du groupe britannique de capital-investissement 3i.

* Financement  : La filiale de 3i portera le consortium Quartier Santé, dont elle va prendre 80% du capital, moyennant un apport de 11,65 millions d’euros, Gepsa et BAM GP en prenant 10% chacun. Quartier Santé va ensuite emprunter 190 millions d’euros àun groupe de trois banques, les japonaises Mizuho et Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ (BTMU), ainsi que la française Natixis, filiale du groupe BPCE [Banque populaire & Caisses d’épargne].
Pour infos, Natixis avait déjàinvestit 100 millions d’euros en 2013 comme banque principale (en qualité de « mandated lead arranger  », banque de couverture, agent et banque teneuse de compte) de la construction en PPP (par Spie batignolles) des prisons de Valence (Drôme), Riom (Puy-de-Dôme) et celle optionnelle de Lutterbach (Haut-Rhin), dont l’appel d’offre vient d’être relancé en novembre 2015 et qui doit remplacer celles de Mulhouse et Colmar. Pour ce marché, Natixis s’est appuyé sur la compagnie d’assurances belge Ageas (ex-Fortis), via sa filiale AG Insurance.

* Juristes  : pour réaliser un contrat aussi juteux, tous ces partenaires ont été assistés par des cabinets d’affaires qui eux aussi prennent leur part et leurs responsabilités, et dont la tâche reste bien souvent aussi discrète que fondamentale :
JeantetAssociés conseillait l’APIJ avec Philippe Malléa, associé, et Marie Veyretout en droit public.
Allen & Overy assistait Quartier Santé ainsi que ses actionnaires GTM Bâtiment, GEPSA et BAM. L’équipe était menée par Romaric Lazerges (associé en droit public) et Rod Cork (associé en bancaire). Ils ont été assistés par Antoine Coursaut-Durand et Arthur Sauzay sur les aspects de droit public, par Florent Belin sur les aspects liés au financement bancaire, et par Clément Saudo pour les aspects liés aux contrats de couverture.
Gide Loyrette Nouel conseillait Gepsa en qualité d’exploitant de l’établissement pénitentiaire, avec Thomas Courtel, associé, Marie Bouvet-Guiramand, counsel, et Anne Framezelle.
Dentons accompagnait Natixis, The Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ, LTD et Mizuho Bank, LTD en charge du financement bancaire du projet et des contrats de couverture de taux avec Jean-Marc Allix, associé, Bérénice Combette et David Kalfon en financement, et avec Marc Fornacciari, associé, et Justine Verrier en droit public.

* Maîtrise d’œuvre : agence Pierre Vurpas & Associés Architectes (responsable du projet : Brigitte Scharff), et agences AIA Architectes (responsable du projet : Olivier de La Barre) et AIA Studio Paysages.
" Dans un espace limité, il convient d’accompagner au mieux l’enfermement que les personnes détenues subissent, de les apaiser, tout en facilitant la surveillance pour les personnels."
(Brigitte Scharff et Olivier de La Barre, interview dans Maison d’arrêt de Paris La Santé, Une prison rénovée au coeur de la cité, plaquette de présentation de l’Agence publique pour l’immobilier de la Justice (APIJ), p.23)
Vurpas Architectes / 29-31 rue Saint-Georges / 69005 Lyon
AIA Architectes / 23 rue de Cronstadt,/ 75015 Paris

* Collabos de proximité : Association « Riverains de la Santé  » créée le 8 mars 2015 et domiciliée 25 rue Jean-Dolent 75014 Paris (Présidente actuelle : Anne-Laure Peugeot, fondateurs : Anne-Laure Guieysse (Présidente), Geneviève Hue (secrétaire), Hubert Peugeot (trésorier))
Extrait d’une lettre d’octobre 2015 de l’association àl’APIJ, présente sur son site : "Dans notre courrier du 20 février 2015, l’association mettait en garde notamment sur les parloirs sauvages et les agressions verbales sur les piétons provenant des cellules avec vue plongeante sur le trottoir de la rue Jean-Dolent... vous nous avez présenté un dispositif qui n’occulte en rien la vue plongeante sur le trottoir car le grillage comporte des lames verticales limitant les vues latérales mais pas la vue plongeante... Il nous semble qu’une première solution àétudier serait de pivoter le même dispositif, c’est-à-dire avec les lamelles placées horizontalement. En effet, la vue plongeante à45° devient plus difficile et donc de nature àréduire fortement les risques d’agression verbale et de parloir sauvage."


Et pour bien se foutre de la gueule du monde et montrer une façade de transparence aux curieux qui oseront s’y aventurer de leur plein gré, le personnel pénitentiaire fera visiter la prison de la Santé au public pendant les travaux lors des journées du patrimoine, en septembre prochain !