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Courtois, Accueillant, Dynamique, Organisé, Rigoureux

Oui, je suis un CADOR !

vendredi 27 juin 2008

« Vous partagez nos valeurs et notre ambition ?
Vous êtes passionnés d’événementiel, de street marketing, d’affichage ?
Vous aimez le contact ?
Votre dynamisme et votre créativité se conjuguent avec votre écoute client ?
Rejoignez les équipes Posterscope et participez
au développement de la Communication Out Of Home.  »
Posterscope, l’agence leader en communication hors foyer

Après avoir postulé par Internet, Posterscope, société de « street marketing  », me propose un rendez vous àson siége dans le quartier de la Défense àParis. Quartier où règnent les zombies encravatés, les buildings surdimensionnés, ainsi que divers personnels d’origine étrangère pour récurer les chiottes des zombies et buildings sus mentionnés. C’est moche àse damner.
Arrivé àbon port, je me rends compte que nous sommes sept dans cette salle décorée de posters àl’effigie de marques de sport bien connues. Cette salle me rappelle les locaux dans lesquels travaillait mon père avant de se faire jeter (d’ailleurs, il m’est désormais plus simple de comprendre comment trois employés ont pu s’y suicider ces dernières années) : pas de couleurs, pas de beauté, que du fonctionnel. Des trous dans les bureaux pour y faire passer des fils, bords caoutchouteux, faux plafond, faux sols, faux murs, faux sourires.
L’atmosphère est oppressante. Les volets sont entrouverts, je soupçonne la personne qui doit nous « briefer  » de nous observer àtravers lorsqu’il n’est pas dans la salle pour nous permettre de lire la petite brochure censée nous expliquer en quoi consiste ce fameux job.

« Charte du bon équipier

UN POSTE, UNE DEVISE

L’équipier « Posterscope contact  » est un

C.A.D.O.R.
Courtois, Accueillant, Dynamique, Organisé, Rigoureux

AMBASSADEUR du titre auprès de ses lecteurs,
Il est ponctuel, dynamique, souriant, avenant.
 »

Le jeune homme censé représenter tout ce que nous devrions vouloir atteindre, le statut de CADOR, entre enfin. Seulement le jeune homme est hésitant, bégayant, mou et peu convaincu. Il me paraît tout de suite plus humain qu’un CADOR. Il nous fait lire àvoix haute la brochure àla con en attendant que nous prenions l’initiative de commencer. Même s’il désigne tout d’abord les deux seuls noirs de l’assistance, certainement pour s’assurer qu’ils ne sont pas illettrés. Une jeune fille mal àl’aise, Ana [1], lève le doigt timidement pour lire mais Jean [2] un garçon plus dynamique et plus enjoué réussit àattirer l’attention de l’examinateur vers lui en s’agitant et en parlant bruyamment. Bravo garçon, tu es dynamique. La jeune fille semble frustrée et déçue d’elle-même de n’avoir pas réussi àfaire montre de plus de dynamisme, mais soulagée tout de même de ne pas avoir àse donner en spectacle pour épater monsieur posterscope. S’en suit alors deux ou trois autres compétitions successives àcelui qui aura le plus d’initiative en léchage de cul.

Je ne me sens pas bien dans cette atmosphère. Je n’ai qu’une seule envie, partager un moment seul ou avec les gens que j’aime pour enfin pouvoir relâcher ma colère et détendre mes muscles, me sentir àl’aise et sans surveillance de mes moindres faits et gestes. Examinateur, si seulement tu savais comme je peux être « dynamique  » et passionné pour distribuer des tracts écrits ou co-écrits pour exprimer des sentiments sincères, comme je suis enjoué lorsque je m’adonne àmes passions. Làje suis faussement àl’aise, les dents serrées, la gencive qui saigne et les mains moites. J’ai envie de te casser la gueule pour m’insurger contre ton vocabulaire immonde. Car tu es ce que je hais, ce qui pourrit ma vie. Ce qui fait la norme àlaquelle ma boite crânienne est inadaptée.

On passe àun tour de table « afin que tout le monde s’exprime  ». Ana, mal àl’aise, semble improviser tout en récitant des phrases toute faites. « Je veux travailler parce que j’aime travailler  ». Je ne te crois pas mais je sais que cette contrition est difficile. Je suis incapable de faire des courbettes àun employeur comme tu viens de le faire. Je reste admiratif que tu puisses y arriver alors que je sens bien qu’au fond de toi tu aimerais toi aussi être ailleurs.

Dans ce tour de table, Jean, sort du lot : « Je suis étudiant en économie et passionné de street marketing hors foyer car j’aime le contact avec les clients. Je suis dynamique et j’ai l’esprit d’initiative. Je suis président d’une association et j’ai milité pendant trois ans dans un parti donc la communication et le marketing ça me connaît !  » avec un clin d’œil ostentatoire et insoutenable.

Je le regarde, ébahi de constater que c’est un être humain que j’ai en face de moi. Cravate bien serrée mais style « décontracté  », il se donne l’image d’un gars « cool  » et « détendu  ». il est àl’aise. Dents plus longues que les bras et ton plus que déterminé, il souhaite montrer que dans cette pièce, s’il ne fallait en prendre qu’un, ce serait lui, pas les autres. L’examinateur termine son speech et demande àl’assemblée si quelqu’un a une question en montrant bien àtout le monde que c’est le moment ou jamais de se faire remarquer. Jean revient àla charge, toujours aussi sà»r de lui-même :
« moi j’ai une question, quelles sont les possibilités d’évolution àposterscope ?  ».

Extrait de Non Fides N°2
et de la brochure Réflexions sur le Travail


[1Pseudonyme

[2Pseudonyme