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Contre la charité - Une critique de ‘‘Food not Bombs’’

dimanche 1er novembre 2015

Dans de nombreuses villes des États-Unis, des anarchistes ont organisé des repas « Food Not Bombs  ». Les organisateurs de ces projets expliqueront que la nourriture doit être gratuite, que personne ne devrait jamais avoir àsouffrir de la faim. Certes, un sentiment honorable... auquel les anarchistes répondent de la même manière que les chrétiens, les hippies ou les gauchistes - en montant un organisme de charité.

On nous dira, cependant, que « Food Not Bombs  » est différent. Le processus décisionnel utilisé par les organisateurs est non hiérarchique. Ils ne reçoivent aucune subvention du gouvernement ou des entreprises. Dans de nombreuses villes, ils servent leurs repas comme un acte de désobéissance civile, au risque de se faire arrêter. De toute évidence, « Â Food Not Bombs  » n’est pas une bureaucratie humanitaire àgrande échelle, en fait, c’est souvent un effort très boiteux... mais c’est une Å“uvre de charité - et cela n’est jamais remis en question par ses organisateurs anarchistes.

Les Å“uvres de charité sont une partie nécessaire de tout système économique et social. La rareté imposée par l’économie crée une situation dans laquelle certaines personnes sont incapables de satisfaire àleurs besoins les plus élémentaires par les voies normales. Même dans les pays dotés de programmes de protection sociale très développés, il y a ceux qui passent àtravers les mailles du système. Les Å“uvres de charité prennent le relais làoù les programmes d’aide sociale de l’Etat ne peuvent pas ou ne veulent pas aider. Des groupes comme « Â Food Not Bombs  » sont donc une main-d’Å“uvre bénévole aidant àpréserver l’ordre social en renforçant la dépendance des pauvres àdes programmes qui ne sont pas de leur propre création.

Peu importe àquel point le processus décisionnel utilisé est non-hiérarchique, la relation est toujours autoritaire. Les bénéficiaires de la charité sont àla merci des organisateurs du programme et ne sont pas libres d’agir selon leurs propres termes dans cette relation. Cela peut être vu dans la façon humiliante dont on reçoit la charité. Les repas de charité comme ceux de « Â Food Not Bombs  » exigent que les bénéficiaires arrivent àun moment qu’ils n’ont pas choisi, afin de faire la queue pour recevoir une nourriture qu’ils n’ont pas choisie (et le plus souvent mal faite) dans des quantités distribuées par un bénévole qui veut faire en sorte que chacun reçoive une part équitable. Bien sà»r, c’est mieux que d’avoir faim, mais l’humiliation est au moins aussi grande que celle de faire la queue au supermarché pour acheter de la nourriture que l’on veut réellement et que l’on peut manger quand on veut. L’engourdissement que nous développons face àune telle humiliation – un engourdissement mis en évidence par le cas de certains anarchistes qui choisissent de manger aux repas de charité tous les jours afin d’éviter de payer pour la nourriture, comme s’il n’y avait pas d’autres options - montre àquel point notre société est imprégnée de ces interactions humiliantes. Pourtant, on pourrait penser que les anarchistes refuseraient de telles interactions dans la mesure où cela relève de leur pouvoir de le faire et de chercher àcréer des interactions d’un autre genre, afin de détruire l’humiliation imposée par la société. Au lieu de cela, beaucoup créent des programmes qui renforcent cette humiliation.

Mais que dire de l’empathie qu’on peut ressentir pour un autre qui souffre d’une pauvreté qu’on ne connaît que trop bien, du désir de partager la nourriture avec les autres ? Des programmes comme « Â Food Not Bombs  » n’expriment pas l’empathie, ils expriment la pitié. Distribuer de la nourriture ce n’est pas le partage, c’est une relation hiérarchique et impersonnelle entre un rôle social de « donneur  » et un rôle social de « bénéficiaire  ». Le manque d’imagination a conduit des anarchistes àfaire face àla question de la faim (qui est une question abstraite pour la plupart d’entre eux) de la même manière que les chrétiens et les gauchistes, en créant des institutions qui sont parallèles àcelles qui existent déjà. Comme on peut s’y attendre quand les anarchistes tentent de faire une tâche intrinsèquement autoritaire, ils font un travail mauvais comme la pisse... Pourquoi ne pas laisser le travail de charité àceux qui n’ont pas d’illusions àce sujet ? Les anarchistes feraient mieux de trouver des moyens de partager individuellement si ils sont si émus, des moyens qui encouragent l’auto-détermination plutôt que la dépendance et l’affinité plutôt que la pitié.

Il n’y a rien d’anarchiste dans « Â Food Not Bombs  ». Même le nom est une demande faite aux autorités. C’est pourquoi les organisateurs utilisent si souvent la désobéissance civile - c’est une tentative de faire appel àla conscience de ceux qui sont au pouvoir, pour les amener ànourrir et héberger les pauvres. Il n’y a rien dans ce programme qui encourage l’auto-détermination. Il n’y a rien qui puisse encourager les bénéficiaires àrefuser ce rôle et commencer àprendre ce qu’ils veulent et ont besoin sans suivre les règles. « Â Food Not Bombs  », comme toute autre Å“uvre de charité, encourage ses bénéficiaires àrester des récepteurs passifs plutôt que de devenir des créateurs actifs de leurs propres vies. La charité doit être reconnue pour ce qu’elle est : un autre aspect de l’humiliation institutionnalisée inhérente ànotre existence économisée, qui doit être détruit afin que nous puissions vivre pleinement.

Feral Faun.

[Traduit de l’anglais dans Des Ruines n°1, revue anarchiste apériodique, décembre 2014.]