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Chili : Au sujet de nouvelles aventures depuis la clandestinité

mercredi 8 juin 2016

À la fin du mois de février ils m’ont remis en liberté, mais dès le début on savait qu’ils allaient revenir sur cette décision maximum une semaine après pour ensuite me faire comparaître àun procès où je serais condamné à3 ans de taule. Face àcela la décision, sans être sà»r de moi, c’était la cavale.

Cela fait trois mois qu’a commencé cette nouvelle aventure et je sens que fuir l’appareil judiciaire-carcéral est un pari personnel, pas un « Â devoir révolutionnaire  ». Ça n’est pas être courageux ou lâche ni rien de ce genre, ça n’est rien de plus que le ressenti viscéral de chaque individu et de ses propres projections. Bien sà»r que la clandestinité a des conséquences (pas seulement pour soi-même), comme tout dans la vie ; ceux qui se positionnent en tant que citoyens acceptent la lassitude, l’ennui, la routine et la soumission. Celui qui combat de façon antagoniste accepte qu’àun moment de son chemin il sera prisonnier, en cavale ou mort, bien que ça ne soit pas le meilleur scénario, mais c’est justement de ce dont il s’agit, d’abandonner le confort et se jeter dans le vide. La chute est douloureuse et peut s’avérer effrayante, tout comme le sont les défaites face aux matons ou des « Â prisonniers communs  » (sic) en prison. La solitude forcée est douloureuse, de même que la séparation avec tes compagnon-ne-s, mais comme l’a dit un fou il y bien longtemps de cela : †increscunt animi, viscerit volnere virtus†[Ndt : l’âme se grandit et la vertu se renforce par la blessure, Furius Antias cité par Nietzsche.], nous devenons plus forts en cherchent et en vivant heureux notre liberté.

En réalité je ne suis pas un grand bavard et si j’écris aujourd’hui ça n’est pas une question d’ego, mais c’est pour partager, avec ceux que je ne peux pas voir et avec des compagnon-ne-s d’ailleurs, ce que j’ai pensé dans cette courte mais intense période de ma vie. Je me souviens d’il y a quelques années lorsque j’ai lu les communiqués de compagnon-ne-s qui ont vécu la même chose, et qui parlaient de la nécessité d’infrastructures ou de quelque chose qui pourrait soutenir ceux qui sont pourchassés. Je pense que bien que le moindre abri, repas, argent, conversation soit apprécié d’une manière indescriptible, comme ils le disaient, plus qu’une infrastructure comme les anciennes Organisations Révolutionnaires, chaque individu doit se responsabiliser pour sortir explorer le monde et tisser des réseaux avec des compagnons, individus en affinité ou autres, indépendamment de son cercle de personnes proches qui sont ceux que la police harcèlera sans aucun doute, tel que l’a proposé (et qui reste en vigueur) la FAI/FRI dans son pari pour l’informalité et l’organisation diffuse. Pouvoir être une cellule indépendante au sein de chaque groupe d’action ou milieu anarchiste et avoir la mobilité de « Â disparaître  » sans arrêter d’être constamment coordonné et de communiquer avec tes frères/sÅ“urs. Maintenant en le vivant moi-même je me rends compte que parmi toutes les contradictions que je porte, ce qui m’a fait du tort c’est la spécialisation sur un seul front de lutte au détriment d’autres, et en mettant ceci en évidence, le quotidien doit déboucher sur un développement entier pour une attaque et une confrontation multiforme.

Apprendre un métier, des aptitudes ou quelque chose qui permette d’obtenir de l’argent pour un logement, de la nourriture, le transport ou quoi que ce soit devient fondamental si tu ne veux pas prendre le risque de voler pour survivre. De même que compter sur des endroits où tu peux te réfugier en cas d’urgence, savoir survivre en t’enfonçant dans les différents endroits où tu marches si tu ne peux/veux pas être en ville, développer le grimage et la transformation de ton apparence, favoriser la capacité de persuasion et réussir àmaintenir un voile et une bonne histoire en étant fluide et convainquant, s’exercer suffisamment pour pouvoir réagir dans des situations où il y a besoin de force physique, apprendre de son corps, le comprendre et ne pas trop souffrir du froid, de la faim ou de la maladie, trouver des passe-temps ou activités qui te permettent la mobilité, etc. C’est le plus visible, mais la lutte la plus constante est dans ta tête et dans ce que tu ressens ; l’éloignement, le fait que tes proches te manquent te fait faire des faux pas, la solitude, le fait de ne parler que par des monosyllabes pendant des jours avec des personnes qui àn’importe quel autre moment seraient des ennemis àattaquer. Une mouette et une hyène ont écrit àce sujet mais jusqu’àmaintenant je ne l’avais pas assimilé.

J’ai aussi conscience que je ne suis pas le fugitif le plus recherché ni rien de la sorte, mais malgré cela il faut prendre les choses au sérieux et comprendre que l’appareil de surveillance policière, avec sa soi-disant omniprésence, te pousse, plutôt qu’àle fuir directement, àt’éloigner de ceux qui ont ton amour et ton respect, et comme en taule, l’ennemi arrive àenfermer, isoler et rompre les liens de confiance et de complicité si sa force nous écrase, si nous ne réagissons pas àtemps avec suffisamment de conviction, solidarité et tendresse. Maintenant plus que jamais je crois qu’au delàdes défaites/victoires et de la distance, être compagnons dans cette guerre transcende toute volonté du Pouvoir.

La raison d’écrire comme je l’ai dit c’est de partager un processus individuel et le lancer au collectif. Il serait intéressant de considérer ce thème comme une possibilité concrète et qui ait lieu plein de fois de façon discrète par sécurité généralement, ou par mesquinerie parfois, ce qui compte c’est d’en parler avec des compagnon-ne-s et personnes proches, et essayer de se mettre dans cette situation de façon ludique, et j’imagine que cela permet de progresser en l’intériorisant.

Bien qu’il me reste encore beaucoup de choses àécrire je sais que j’aurais du temps pour continuer.
Un salut affectif àPancho et Mónica condamnés il y a quelques mois à12 ans de prison, aux prisonniers du CAS : Freddy, Marcelo, Juan, Kevin, Joaquín, Fabian et Nico ; aux prisonniers du laboratoire Santiago 1 : Javier, Enrique, Ignacio, Juan, Manuel, Amaru, Felipe ; aux prisonnières du Cof et de San Miguel : Tamara, Tato, Nataly … et aux prisonniers politiques [ sic !], par choix, silencieux des autres prisons, beaucoup de tendresse et de force dans ces couloirs pourris de justice démocratique.
Une pensée aussi pour les membres des Conspirations des Cellules de Feu et solidaires qui font face aux conséquences d’une nouvelle tentative d’évasion.
À chaque prisonnier, fugitif et insurgé partout dans le monde : notre jour viendra, ni la taule ni ce foutu monde ne sont et ne seront éternels.

À nos relations joyeuses, affectueuses et complices ; àl’organisation diffuse et àla violence anarchiste minoritaire et foudroyante.

RIEN NE S’ARRÊTE, TOUT CONTINUE !
VIVE L’ANARCHIE !

Errant quelque part dans ce qu’on appelle le Chili,
Awkiñ [Ndt : écho en mapudungun, langue amérindienne parlée par les Mapuche au Chili et en Argentine.]

[Traduit de l’espagnol de Publicacion Refractario.]