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Bonne résolution 2016

vendredi 8 janvier 2016

Notre point de vue, ici exposé àchaud sur les événements survenus voilàun an àParis, n’a bien entendu pas changé. Toute perspective de subversion révolutionnaire de la société demeure aujourd’hui impossible en France du fait de la décomposition idéologique àpeu près totale de l’ancienne radicalité prolétarienne de ce pays. Cette impossibilité existait avant les attentats. Elle demeure. L’instauration de l’état d’urgence n’est pas la cause, ou l’une des causes, mais bien la conséquence, la plus spectaculairement hideuse, de ce fait. La police, àelle seule, n’a jamais suffi, nulle part, àôter aux révolutionnaires leur envie révolutionnaire, quand cette envie existait. Cette envie a simplement disparu voilàbelle lurette. Et la montée en puissance ordinaire, « quiétiste  », comme disent les imbéciles, du fanatisme religieux au sein des masses, en France comme ailleurs, fournit évidemment la clé historique essentielle d’une telle décomposition, d’un tel abrutissement contre-révolutionnaire.

En marge d’une manifestation « antifasciste  », une semaine après le carnage àCharlie-Hebdo (Paris, janvier 2015).

L’acculturation, l’analphabétisation politiques de la période libérale n’auront fait qu’accompagner, accélérer ce processus, sans pour autant que tout le monde soit déterminé fatalement àse crétiniser identiquement dans la religiosité castratrice. Personne n’est jamais fatalement déterminé àune évolution de ce genre, qui est résistible, autant que le fascisme l’était, en d’autres temps. Les hommes, y compris les hommes pauvres, demeurent libres de devenir, ou de rester, soit des êtres incultes et stupides, autrement dit soumis, soit des révoltés. La conscience de classe n’est pas un privilège de riche blanc éduqué, ainsi que l’estiment les gauchistes petits-bourgeois, de fait ainsi racistes et paternalistes, mais au contraire la seule première possession spontanée du pauvre, laquelle assure d’abord sa survie élémentaire, et demande ensuite, en tant que fait organique primitif, àse voir enrichie : socialement travaillée. Si grandes que soient ses souffrances, ses humiliations, l’exploitation économique féroce dont il est victime, toutes qualités que nous ne contestons pas (faudrait vraiment être con, aveugle et réactionnaire), nous ne sortons néanmoins pas de là : le prolétariat est révolutionnaire ou n’est rien. Nous n’attendons, en conséquence, absolument rien, nous-mêmes, aujourd’hui et pour longtemps, de ce prolétariat au nom duquel nous ne parlerons jamais, que nous ne draguons pas, comme font les léninistes de tous bords, avec lesquels nous partageons, en revanche, cette seule phrase importante de leur programme, qu’ils n’ont eux-mêmes jamais comprise : sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. Les gauchistes, dans leur immense majorité, n’ont toujours en effet théoriquement rien compris, rien voulu comprendre, de ce qui s’est passé voilàun an, àParis. Ils n’ont pas compris que quelque chose avait, avec ce grand massacre (au départ simplement symptomatique et révélateur), irrémédiablement changé dans la société, et qui signait, au passage, leur propre arrêt de mort collectif, invalidait leurs misérables codes abstraits antédiluviens, les condamnait définitivement àdisparaître du paysage, dans leur pitoyable existence politique en marge perpétuelle du mouvement historique réel, dont ils persistent cependant, fines mouches littéraires ou universitaires donneuses de leçons, àse croire la pointe consciente la plus sophistiquée.

Il ne s’agit nullement, quant ànous, et en ce jour de communion mémorielle républicaine, de « faire du sentimentalisme àl’égard de la France », comme disait Kropotkine, qui trahit en 1914 pour rejoindre l’Union Sacrée. Il s’agit juste de haïr, demain autant qu’hier, la France républicaine pour les seules bonnes raisons qui vaillent, c’est-à-dire pour son État, sa police, ses curés et racialistes divers, coalisés, lesquels nous rendent également, au quotidien, tout espoir impossible.
Et non, comme c’est le cas aujourd’hui dans une part décisive sinon majoritaire de la population prolétarienne, parce que la France marie les pédés, que les femmes y sont juridiquement les égales des hommes, que la moitié de sa population s’y déclare athée et que, de manière générale, la culture populaire française, désormais passée, c’est-à-dire ne survivant plus qu’àl’état de parodie sinistre chez les bourgeois, fut, notamment, l’une des plus libertines, des plus libertaires, des plus frondeuses, et des plus égalitaristes du monde.

Il y a un an, tout rond, une douzaine de journalistes de centre-gauche se trouva massacrée, àParis, en France, pour avoir osé dessiner le prophète.
Or dessiner le prophète, faut-il le rappeler àcertains, n’est rien.
Abattre Dieu, dans le but de prendre sa place, est un projet autrement ambitieux.

[Repris du blog Le Moine bleu.]