Accueil > Articles > Sexes, genres et dominations > A bas le patriarcat !

A bas le patriarcat !

Lettre d’une des inculpées pour braquage de banque àAachen

vendredi 10 mars 2017

Nous publions ici la lettre d’une compagnonne anarchiste qui est incarcérée depuis quelques mois àCologne en Allemagne, àqui il est reproché d’avoir braqué une banque àAachen. Elle comparait en ce moment devant le tribunal. Elle a écrit cette lettre dans le contexte du 8 mars, journée internationale de la lutte des femmes.

Au sujet des dysfonctionnements sociaux, racistes et patriarcaux.

C’est un secret pour personne qu’ici aussi, en Allemagne, nous vivons dans une société complètement inégalitaire. Les classes supérieures sont bien protégées et parfaitement préservées, n’ont aucun souci existentiel et peuvent offrir un avenir sécurisé àleurs enfants malgré tous les problèmes globaux de ce monde, une chose que les classes inférieures ne possèdent pas. Pendant qu’une petite partie des gens s’enrichit toujours plus, une grande partie est contrainte au strict minimum pour vivre, travaille pour un salaire de misère emmerdant et est dressé àune consommation toujours plus absurde, afin que ce système avide de profit puisse être maintenu.

Pendant qu’une minorité bronzent sur leurs yachts en mer Méditerranée ou se font des virées dans leurs jets privées àtravers le globe, beaucoup d’autres ne peuvent même pas se permettre de prendre de vrais vacances une fois dans leurs vies, et encore moins de payer leurs loyers, la note d’électricité ou quelques nouvelles dents. Alors que les richards mettent de côté leurs richesses imposables dans de quelconques paradis fiscaux ou sociétés écran, pour lesquels ils ne font même pas face àune procédure judiciaire sérieuse, tant de personnes pauvres font des mois voire des années de prison pour des amendes impayées ou des délits mineurs – pour des sommes que les riches dépensent chaque jour en quelques minutes.

Certes, l’État et les médias racontent que chaque être humain serait égaux devant la loi, mais en même temps chaque enfant sait que celui qui est riche et puissant n’atterrit pas en taule, puisque des bons avocats coà»teux l’en sortiront. Celui qui a de mauvais avocats ou qui est déjàconsidéré comme « suspect habituel  » pour des raisons sociales ou racistes a, pendant ce temps-là, simplement les mauvaises cartes. Et celui qui, de surcroît, ne maîtrise pas la langue allemande ou qui ne sait pas lire et écrire, n’a en fait aucune chance de se défendre et est dépendant de l’aide continue de l’autre, qui n’est souvent pas là. La société s’en contrefout. Les spectres habituels du « criminel étranger  », des « terroristes  » arabes et nord-africains et des « réfugiés dangereux  » qui devraient être repoussés et enfermés le plus vite possible sont brandis. Certes, l’Allemagne se vante volontiers d’être un pays ouvert sur le monde qui accepte également des réfugiés, mais uniquement si ces derniers s’intègrent àla société d’exploitation pour en tirer profit sur le plan économique ou s’ils se laissent étiqueter comme « victimes  ». Si toutefois ils viennent en Allemagne en famille ou, comme ils disent, « en bandes  » afin de pouvoir mieux survivre dans un pays plus riche, ce qui est somme toute entièrement logique, ou prennent àceux qui ont plus qu’eux, ils sont ensuite non seulement rejetés ou expulsés, mais on en fait un exemple et ils sont utilisés pour justifier les politiques xénophobes du pouvoir. Ainsi pour l’État, il s’agit avant toute chose du droit des riches et de la protection de leur propriété. Celui qui transgresse la loi àla propriété sera le plus sévèrement puni. La taule est, àjuste titre, remplie de celles et ceux qu’ils nomment cambrioleurs, fraudeurs, brigands, voleurs, et non de meurtriers ou de violeurs, comme l’univers carcéral est si souvent dépeint. Et le quota d’étranger est bien sà»r très élevé, non pas parce qu’il y aurait plus de criminel chez les étrangers que chez les allemands mais parce qu’ils appartiennent généralement aux classes inférieures. Dans un pays d’immigration comme l’Allemagne, cela a toujours été le cas et ça le restera.

Mais là, il existe un autre sujet ici qui dépassent peut-être même encore toutes les injustices et oppressions structurelles désignées, àsavoir la violence patriarcale. Et les femmes la retrouve trois fois plus en prison. La part des femmes parmi l’ensemble de la population carcérale est infime. C’est pourquoi les besoins des femmes ne sont quasiment pas pris en compte.

Les possibilités de soins, de médicaments et d’hygiène des femmes et les particularités spécifiques des femmes sont effroyablement mauvaises. Fondamentalement, il existe davantage d’activités, de formations continues, d’apprentissages, de possibilités de faire du sport pour les hommes que pour les femmes. La plupart des femmes viennent plus ou moins directement pour des violences domestiques ou sexuelles, et souvent elles ont été contraintes àfaucher ou voler par leurs mecs ou leurs pères, ou bien elles sont ici parce qu’elles se sont défendues contre leurs tortionnaires. De manière sexiste, l’État et la société les culpabilisent lorsque les femmes se rendent criminelles, avant tout lorsqu’elles prennent les rôles habituellement réservés aux hommes.

Par ailleurs, l’État continue de maintenir son emprise et son pouvoir décisif sur le corps des femmes et, si nécessaire, les rend pénalement responsables si elles refusent de confier leurs corps àl’autorité. Cela n’a pas vraiment changé depuis le Moyen-Âge, seulement maintenant elles ne sont plus brà»lées comme des sorcières aux bà»chers mais elles atterrissent en taule. Tandis que les hommes reçoivent souvent la visite de leurs femmes en taule, àl’inverse ce n’est que rarement le cas. Les hommes de ces femmes sont souvent incarcérés eux-aussi, en fuite ou ne se soucient pas d’elles. De plus, presque toutes les femmes incarcérées ont des enfants àl’extérieur et donc le problème réside dans le fait de savoir qui est capable de s’occuper d’eux dans ce laps de temps. Ainsi, les femmes sont même souvent obligées de s’occuper de leurs familles et de les garder depuis l’intérieur de la prison, ce qui est vraiment difficile àorganiser. Dans le meilleur des cas, les femmes ont encore des contacts avec leur propre mère. En fin de compte, les femmes qui ont été incarcérées sont mises àl’écart et méprisées dans presque toutes les cultures, et encore plus lorsqu’elles sont soupçonnées d’avoir été violentes, puisque la représentation classique de la femme lui conteste tout acte d’autonomie. Ainsi, les structures patriarcales de l’Etat et de la loi pénale Å“uvrent ensemble aux côtés de la famille patriarcale en cherchant àdominer et àopprimer entièrement les femmes. Et malgré cette réalité écrasante, de petits signes prometteurs d’auto-détermination et d’auto-organisation des femmes entre elles continuent d’exister àl’intérieur de la taule. Peut-être que l’empathie est plus grande qu’entre les hommes, et que dans certaines situations les personnes s’entraident parfois ou dans d’autres elles se solidarisent avec les plus faibles, les défavorisées et les rebelles. Chacun de ces gestes et chacune de ces attitudes, mêmes les plus timides, sont bien sà»r vitaux pour chaque personne en prison mais sont aussi des signes contre toutes ces oppressions et ce système coercitif.

La lutte continue. Jusqu’àce que toutes les prisons soient démolies !

Pour la libération totale de tout système de domination sociale, raciste et patriarcale. Force, courage et rébellion !

Liberté pour tous et toutes !

[/Janvier 2017./]

[Traduit de l’allemand de linksunten.indymedia par Le Chat Noir Emeutier.]